Chronique

De la lucidité

Madame Geneviève Nootens est professeure de science politique à l'Université du Québec à Chicoutimi et est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la démocratie et la souveraineté.
Dans 50 ans, la question de la dette publique aura l’air d’une broutille à côté des problèmes environnementaux.

Les yeux des Québécois semblent maintenant tournés unanimement vers la question fatidique de la dette publique. Il est dorénavant de mise, même chez les associations jeunesses de nos deux principaux partis provinciaux, de faire de cette question le principal enjeu de politique et de justice intergénérationnelle. Mais s’il est important de ne pas endetter outre mesure les générations futures, ce problème n’est-il pas secondaire à côté des menaces qui pèsent sur l’environnement et qui risquent bien davantage d’hypothéquer l’avenir que la question de la dette publique? Car à bien y penser, nous serons bien avancés, lorsque nous aurons remboursé l’hypothèque, mais démoli la maison!

Le dernier remaniement ministériel à Québec nous aura souligné, s’il était encore besoin de le faire, que l’environnement demeure pour beaucoup d’entre nous, et pour une bonne partie de nos élites politiques, une préoccupation secondaire. Au-delà des énoncés de principe, on se rend vite compte, en effet, que les intérêts économiques et les considérations électoralistes viennent facilement à bout des bonnes intentions. Pourtant, d’autres chroniqueurs l’ont souligné, le ministre de l’Environnement devrait, dans le contexte actuel, diriger un super-ministère et disposer d’outils lui permettant de superviser tous les projets et les domaines susceptibles d’avoir un impact environnemental. Malheureusement, on semble encore très loin de s’être fait à cette idée, à Québec. Comment se fait-il que nous soyons incapables d’assumer nos responsabilités à cet égard?

Il y a deux raisons qui expliquent notre incurie. D’une part, au-delà du scepticisme désespérant qu’affichent encore certaines personnes relativement aux conséquences prévisibles de ce que nous faisons subir à la planète, il y a, souvent, nos propres contradictions. Celles qui font que l’on aimerait bien réaliser les objectifs de Kyoto, par exemple, mais que toute remise en cause de notre mode de vie souvent trop confortable nous fait bien vite oublier.

Mais il y a plus. Car, d’autre part, il ne faut pas se leurrer: il serait irréaliste d’attendre de chacun d’entre nous qu’il se plie continuellement et volontairement aux exigences nécessaires pour atteindre ces objectifs. C’est peut-être particulièrement vrai de certaines entreprises, dont les profits pourraient être menacés par des règles environnementales plus strictes; mais c’est aussi vrai pour chacun d’entre nous. À moins d’être doté d’une morale personnelle irréprochable, rigoureuse, qui ne faillit jamais, la plupart des individus ont tendance à être parfois un peu paresseux, ou préfèrent payer plutôt que de renoncer à un certain niveau de confort (et ils préfèrent payer plus tard que tôt!). Par conséquent, sans un encadrement législatif et réglementaire rigoureux, il est parfaitement illusoire de penser qu’on pourra améliorer un tant soit peu la qualité de l’environnement que nous léguerons aux générations futures.

Le rôle du législateur

C’est là que nos politiciens entrent en scène, et que leur propre incurie devient criante. Car seul le législateur (ces députés que nous avons élus pour nous représenter dans la prise de décision) peut assurer la mise sur pied d’un cadre réglementaire rigoureux en cette matière. Or, l’une des choses que nous rappelle le dernier remaniement ministériel, c’est qu’une trop grande proximité entre l’élite politique et l’élite économique compromet l’engagement des élus envers le bien commun. À cet égard, je crains d’être pessimiste: le départ de Thomas Mulcair, l’annonce prématurée de Claude Béchard concernant les terminaux méthaniers, la présence au cabinet du premier ministre d’un ancien de Gaz Métro, la hausse abrupte des tarifs d’hydroélectricité,… tout cela semble au-delà de la simple coïncidence. Il n’y a peut-être là pas de véritable conflit d’intérêt. Mais si le gouvernement actuel favorise le développement du gaz naturel (notamment), les citoyens pourront toujours se permettre de douter des véritables raisons qui motiveraient ce choix.

D’autant plus qu’en matière d’environnement plus qu’en toute autre chose, à l’heure actuelle, il y a péril en la demeure, et pas seulement au sens figuré. C’est l’un des critères à l’échelle desquels nous devrions jauger le sens des responsabilités de nos élus, leur vision de l’avenir, leur capacité de mobiliser les citoyens afin de faire face à l’un des enjeux les plus déterminants de ce siècle. Dans 50 ans, la question de la dette publique aura l’air d’une broutille à côté des problèmes environnementaux. En fait, elle l’est déjà, mais nous ne le réalisons pas encore. Lucides, vous avez dit?

Geneviève Nootens

La chronique «Québec grand angle» a été publiée dans les pages «Forum» de La Presse du 11 mars 2006. Ce texte a été reproduit avec l’aimable autorisation du journal La Presse.