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Les changements au recensement canadien

Commentaires de Martin Simard, Ph. D. – MICU Professeur-chercheur au LERGA et Directeur du module des sciences humaines à l'UQAC
COMMISSION PARLEMENTAIRE FÉDÉRALE
SUR L’INDUSTRIE, LES SCIENCES ET LA TECHNOLOGIE
SESSION DU MARDI 27 JUILLET 2010

J’aimerais d’abord remercier la Commission pour l’invitation qui m’a été faite de participer aux travaux sur la réforme du recensement. Dans les minutes qui vont suivre, je traiterai de trois éléments :
1. Je présenterai brièvement l’organisme que je représente;
2. Je fournirai un avis sur la réforme proposée;
3. Je soulignerai les effets que ces changements produiront.

1. Le LERGA et ses recherches

Le laboratoire d’expertise et de recherche en géographie appliquée (LERGA) que je dirige réalise des recherches sur l’environnement, l’aménagement du territoire et le développement régional depuis plus de vingt ans. Il s’agit de recherches appliquées élaborées et mises en œuvre en étroite collaboration avec des organismes comme les municipalités locales, les agences de développement économique ou des entreprises privées. Ces études visent l’amélioration des conditions de vie des populations, l’utilisation harmonieuse et durable des ressources ou l’efficacité économique et fonctionnelle des organisations.

Au même titre que d’autres organismes semblables dans les universités canadiennes, les données sur le recensement constituent pour nous une source de données très importantes. Ces données sont reconnues comme étant très fiables et elles sont accessibles gratuitement ou à faible coût. Celles-ci permettent de réaliser des portraits et des diagnostics de toutes sortes qui contribuent à la gouvernance des collectivités territoriales ainsi qu’à la compétitivité du Canada à l’heure de la mondialisation des marchés.

2. Avis sur la réforme proposée

Dans ce contexte, je voudrais souligner mon désaccord avec les changements proposés, soit le remplacement du formulaire long par une enquête sur les ménages canadiens ainsi que l’abandon du caractère obligatoire des réponses. Je joins donc ma voix à celles de divers groupes comme l’Association canadienne des géographes ou l’Institut canadien des urbanistes, groupes dont je suis membre de plein droit, pour réclamer le retour aux méthodes traditionnelles de cueillette de données. Malgré les bonnes intentions qui inspirent la réforme, les modifications en voie d’être mises en vigueur affecteront la qualité des données. En particulier, le caractère non obligatoire des réponses au questionnaire long ou à son équivalent introduira un biais, dans le processus d’échantillonnage, qui affectera la représentativité des données. Il s’agit donc d’un changement mineur en apparence, mais c’est l’ensemble de la fiabilité des recensements canadiens qui sera remis en cause.

3. Les effets prévisibles

Si le gouvernement va de l’avant avec les changements proposés, cela aura de nombreux effets ou impacts. En voici quelques-uns :

1. Les données de Statistique Canada seront moins fiables, voire fausses, ce qui affectera la mise en place des politiques publiques aux paliers fédéral, provincial ou municipal. Les groupes sous représentés statistiquement par rapport à la réalité ne recevront pas les services auxquels ils ont droit. Pensons aux sans-emploi, aux personnes âgées ou aux habitants des régions rurales.

2. Les risques de sous représentativité seront moins forts à l’échelle nationale qu’aux échelles locales et régionales. Par conséquent, la fiabilité des données touchera davantage les municipalités locales sur les plans de la planification urbaine et du développement économique. Le secteur de la construction résidentielle et des infrastructures en ressortirait particulièrement déstabilisé. De plus, les entreprises privées auront davantage de difficultés à effectuer des études de marché pour la localisation de leurs succursales, par exemple des chaînes de restauration rapide ou des magasins à grande surface.

3. Un autre effet de la réforme serait d’affecter sérieusement la fiabilité et la réputation des statistiques canadiennes. Les recherches dans les domaines des sciences sociales, de la santé ou des transports seraient alors limitées, imprécises et dispendieuses à une époque où l’information est un élément clé du développement de l’économie et des sociétés. En outre, les comparaisons dans le temps et, dans une moindre mesure, entre les territoires seront maintenant presque impossibles à cause des différences de méthodologie entre les recensements. Par ailleurs, Statistique Canada a su se forger une réputation sans faille qui suscite la fierté d‘un grand nombre de Canadiens, notamment au Québec, et l’envie de plusieurs sur la scène internationale. Il serait fort dommage de ternir cette image de marque durement gagnée.

En conséquence, je demande au gouvernement de revenir sur sa décision de modifier la méthodologie du recensement canadien de 2011. La question du respect de la vie privée apparaît non fondée, considérant les procédures strictes suivies par Statistique Canada. De plus, certaines questions pourraient être retirées, si elles sont jugées inutiles. Cependant, la procédure d’échantillonnage doit être absolument maintenue, tout en faisant disparaître les sanctions déraisonnables prévues à la loi en cas de non-réponse. Sincèrement, nous devrions profiter d’un été radieux, même à Chicoutimi, et laisser ces questions techniques plutôt ennuyeuses aux statisticiens de Statistique Canada qui ont toujours su bien faire leur travail.