Chronique

Mort assistée, un concept à définirJean-Pierre Béland, philosophe, éthicien et professeur

Jean-Pierre Béland, philosophe, éthicien et professeur. (Photo : Jeannot Lévesque)
CHICOUTIMI – Philosophe, éthicien et professeur au Département des sciences humaines à l’Université du Québec à Chicoutimi, Jean-Pierre Béland s’intéresse de près à un sujet controversé au Canada, la mort assistée.

« Je suis pour l’euthanasie, mais pas n’importe où, pas n’importe quand, et pas pour n’importe qui. Ma position est nuancée. Présentement, les gens ont peur et se demandent si nous allons vider nos hôpitaux en acceptant l’euthanasie, d’autant plus que la population est vieillissante. Mon rôle en tant qu’éthicien est de m’assurer que l’intention du débat soit éthique », explique-t-il.

Le professeur a écrit, en 2008, un livre intitulé « Mourir dans la dignité? Soins palliatifs ou suicide assisté, un choix de société » dans lequel il situe la réflexion et le débat dans l’horizon d’une « liberté responsable » en bioéthique, afin de favoriser le respect de la dignité de la personne.

« On ne cherche pas à créer une nouvelle loi, on cherche à établir une ouverture dans celle existante, lui apporter certains ajustements pour pouvoir encadrer une euthanasie qui, de toute façon, est déjà pratiquée », tient à souligner le professeur.

En effet, présentement, au Québec, les soins palliatifs sont déjà autorisés légalement. Ces derniers englobent plusieurs pratiques dont la cessation de traitement. « Quelle différence existe-t-il entre débrancher un patient et un patient qui n’est pas branché à qui on refuse de mettre fin à sa vie? » ajoute-t-il.

M. Béland mentionne également que derrière le but des médecins de soulager la douleur en administrant de la morphine au patient se cache la volonté d’en accélérer la mort. C’est ce qu’il appelle le double effet. « Le double effet permet une double intention. Derrière l’intention de soulager la douleur peut se cacher l’intention de tuer. C’est ce qu’on appelle l’euthanasie. »

Voilà ce qui justifie, selon le professeur, l’encadrement de la pratique des soins palliatifs pour ainsi légiférer l’euthanasie et éduquer les gens à ce sujet.

« Il n’y a pas une seule façon de mourir dans la dignité. Il faut informer le monde sur les trois concepts. Dans le cas de l’euthanasie, c’est le médecin qui a l’intention de donner la mort au patient tandis que pour le suicide assisté, il aide le patient à obtenir le médicament qui causera sa mort. Quant aux soins palliatifs, c’est l’intention de soulager la souffrance. C’est le seul concept autorisé par la loi », soutient-il.

De plus, M. Béland croit qu’un encadrement de l’euthanasie permettrait un enseignement universitaire adéquat et une éducation sociale. Présentement, la pratique de l’euthanasie est permise dans quelques pays d’Europe ainsi que dans deux états américains.

« On peut bien avoir une loi encadrée, mais il faut une démarche éthique, un dialogue. Il faut que le patient soit vraiment libre, que la famille soit d’accord et qu’il n’y ait pas d’abus. »

Commission spéciale « Mourir dans la dignité »
Une des questions les plus urgentes à l’heure actuelle

CHICOUTIMI – (AP) S’intéressant à la question de la mort assistée depuis 2007, Jean-Pierre Béland a soumis sa position, hier, aux auditions publiques de la Commission spéciale « Mourir dans la dignité ».

Cette commission, qui a déjà visité Montréal, Trois-Rivières et Québec, suscite jusqu’à présent la participation massive des citoyens et organismes. Les commissaires ont reçu près de 300 mémoires et demandes d’intervention et plus de 6 000 réponses au questionnaire en ligne.

« J’espère qu’elle (commission) aura permis à la population de mieux saisir la question et qu’elle signifiera la position du Québec aux autres provinces. Il y a un intérêt et une exigence d’informer le public à ce sujet », indique M. Béland qui est également vice-président du Comité régional de bioéthique du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

C’est d’ailleurs au sein de cette organisation qu’il a déterminé, avec les autres membres, qu’il s’agissait d’une des questions les plus urgentes à l’heure actuelle.

« Je suis surpris de voir à quel point on s’intéresse à cette question », ajoute le philosophe qui s’est également intéressé à la souffrance des soignants qui doivent faire face à un dilemme inconfortable devant la demande d’un patient désireux de mourir dans la dignité. Il a écrit un livre à ce sujet, intitulé « La souffrance des soignants », en 2009.

Le Quotidien, samedi, 23 octobre 2010, p. 20
Un texte de Audrey Pouliot