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L’avantage sélectif de se trouver sur le front d’une vague migratoire

Une étude généalogique québécoise fournit des indices sur les conséquences génétiques des migrations humaines  

MONTRÉAL, le 3 novembre 2011 – L’étude publiée aujourd’hui dans Science révèle que les premiers individus qui s’établissent sur un nouveau territoire réussissent mieux à transmettre leurs gènes que ceux qui n’ont pas migré. Selon le professeur Damian Labuda, de l’Université de Montréal et du CHU Sainte-Justine, l’étude suggère que le processus d’expansion d’une population ouvre la porte à la sélection naturelle. La découverte a été rendue possible grâce à l’utilisation d’une infrastructure de recherche unique, le fichier de population BALSAC, qui permet de reconstituer la structure de la population du Québec sur près de quatre siècles. Dans le cadre de ces travaux, les lignées descendantes de tous les couples mariés entre 1686 et 1960 dans les régions de Charlevoix et du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont été analysées. Cette généalogie comprend plus d’un million de personnes.

Les professeurs Laurent Excoffier, de l’Université de Berne et de l’Institut suisse de bioinformatique, Damian Labuda de l’Université de Montréal et Hélène Vézina, du Projet BALSAC à l’Université du Québec à Chicoutimi qui dirigeaient les travaux, ainsi que les professionnelles de recherche Claudia Moreau et Michèle Jomphe, et la doctorante Claude Bhérer ont analysé l’histoire démographique de cette région pour étudier les effets d’une expansion territoriale et démographique rapide sur la dynamique de la colonisation et de l’évolution de l’être humain.
« Nous avons découvert que les familles qui se trouvaient au front d’une vaste expansion territoriale avaient un meilleur succès reproductif. En d’autres mots, ces familles  ont plus d’enfants, qui eux-mêmes ont plus d’enfants à leur tour », a expliqué Damian Labuda. « Ces familles ont donc fourni une contribution génétique à la population contemporaine supérieure à celles qui sont demeurées derrière, dans ce que nous appelons le cœur, par opposition au front d’expansion de la population pionnière.

L’étude permet de confirmer chez les humains un phénomène qui a déjà été observé dans d’autres espèces présentant des intervalles de durées de génération plus courts. « Nous savions que la migration d’une espèce dans de nouveaux territoires favorise la diffusion de mutations rares par l’intermédiaire d’un phénomène appelé  « surf » génétique, mais maintenant, nous découvrons que la sélection qui s’effectue au front d’expansion  peut favoriser cette diffusion», déclare le professeur Excoffier. Combiné à des effets fondateurs et à la transmission culturelle des comportements reproductifs, ce mécanisme évolutif pourrait expliquer pourquoi certaines maladies génétiques présentent une fréquence accrue dans les régions de Charlevoix et du Saguenay-Lac-Saint-Jean, où l’étude a été réalisée, puisque les mutations rares peuvent aussi surfer sur une vague migratoire.

« Il est stimulant de constater à quel point une étude fondée sur une population régionale du Québec peut livrer des renseignements sur un processus humain qui se produit depuis des milliers d’années. Le fichier de  population BALSAC est un outil puissant pour la recherche sociale et génétique, et la présente étude offre une très belle démonstration de ses possibilités », a déclaré Hélène Vézina.

Les chercheurs notent aussi que, bien que leur étude porte sur  une population humaine suivie sur plusieurs siècles, elle ne représente qu’une très courte période de l’évolution, à échelle géographique limitée. Il apparaît par conséquent difficile de généraliser ces résultats obtenus auprès d’une population agricole à ce qui s’est produit ailleurs au cours d’autres périodes d’expansion, surtout si l’on tient compte des différences entre la démographie écologique des chasseurs-cueilleurs et des fermiers. Toutefois, compte tenu que les humains ont réussi à coloniser presque l’ensemble de la planète, il semble très probable qu’une part considérable de nos ancêtres ait vécu au front de vagues d’expansion. Par conséquent, nombre de caractéristiques humaines favorisant la dispersion et la reproduction pourraient avoir évolué pendant des phases migratoires  plutôt que résulter de la sélection dans des environnements plus sédentaires.

« Le congé sabbatique de Laurent Excoffier à Montréal a été très productif. Nous avons pu réunir nos équipes et établir des bases très prometteuses pour de futures collaborations », a déclaré Damiam Labuda. « Grâce au fichier BALSAC, nous prévoyons élargir la recherche à d’autres régions  du Québec et même travailler sur d’autres populations. »

À propos de l’étude
L’article intitulé « Deep human genealogies reveal a selective advantage to be on an expanding wave front » est publié par Claudia Moreau et coll. le 3 novembre 2011, dans Science.

Les travaux ont été financés en partie par le Réseau de médecine génétique appliquée du Fonds de recherche en santé du Québec.

Damian Labuda est affilié au Département de pédiatrie de l’Université de Montréal et au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine (CR-CHUSJ).
Laurent Excoffier est affilié à l’Institut d’écologie et d’évolution de l’Université de Berne et à l’Institut suisse de bioinformatique.
Hélène Vézina est affiliée au Département des sciences humaines et au Projet BALSAC de l’UQÀC.

Personne-ressource :
William Raillant-Clark
Attaché de presse international   
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