CHAPITRE 11

LES RÉACTIONS ION-MOLÉCULE

Objectifs

Autre cas d’espèce, celui des réactions entre molécules et ions. Dans ce cas, les ions portent des charges électriques. Ceux-ci portent avec eux un champ électrique important qui n’est pas sans influencer le nuage électronique de la molécule réactive.

  • Quels sont les effets observables ?
  • Quelles sont les réactions les plus couramment observées ?
  • Comment la cinétique des réactions est affectée?

 

Objectifs spécifiques

-  Comprendre la nature et les spécificités des réactions ion/molécule.

-  Étudier différents cas d’espèce : réactions de transfert de proton, de charge, d’ions négatifs, de dissociation, ....

-  Comprendre les mécanismes de condensation, de polymérisation ionique.

-  Comprendre les mécanismes d’interception d’ions.

 


1. Introduction

Le chapitre précédent a justifié un traitement particulier pour certains types de réactions, dont celui des réactions mettant en présence un ion, positif ou négatif, et une molécule. Ces ions développent des champs électriques importants. Ils obéissent donc à des lois particulières. On a déjà vu deux exemples intéressants de réactions ion/molécule. Le premier cas concerne l'ionosphère (Chapitre 6), le second les flammes (Chapitre 7). L’étudiant est déjà (ou est-il sur le point de l’être) familier avec l’appareil appelé spectromètre de masse. C’est bien sûr l’appareil universel d’étude des réactions mettant en jeu des ions. Il ne faut pas en déduire que les réactions ioniques n’ont lieu qu’à très basse pression. Elles sont aussi observables à hautes pressions.

En phases condensées, et bien que les réactions ioniques soient nombreuses (par exemple dans l’eau, en électrochimie,...), ces ions sont très souvent solvatés. Ils traînent un nuage de molécules qui lui sont associées par divers types de liaisons, dont les liaisons de VAN DER WAALS. Nous ne traiterons pas de ce type de réactions dans le présent chapitre.

 


2. Cinétique des réactions

Un ion traînant avec lui un champ électrique très efficace, on devra envisager deux cas typiques selon que la molécule partenaire de la réaction est polaire ou apolaire. Lorsqu’un ion passe au voisinage d’une molécule apolaire son champ électrique perturbe le champ moléculaire : il y induit un dipôle non-permanent et cette molécule perturbée a tendance à orienter ce dipôle induit dans le sens du champ développé par l’ion. LANGEVIN (1905), puis GIOMOUSIS et STEVENSON (1958) ont traité ce cas et développé une théorie qui permet d’évaluer la constante de vitesse de réaction (formule L. G. S.) :

k  =

 

Dans cette équation,

q est la charge électrique de l’ion,
a est la polarisabilité de la molécule et
m la masse réduite des partenaires en collision.

 

Tableau 11.1. Exemples de constantes de vitesse de réactions ion/molécule apolaire à 300 K

Réactifs k (10-10 cm3·molécule-1·s-1)
expér. L. G. S.
H2 +  H2 21 21
CH5 +  H2 15,8 15,7
CH4 +  CH4 12,5 13,3
C2H5 +  CH4 11,2 11,7
Réf. : Lias, S. G. et P. Ausloos, Ion-Molecule Reactions: Their Role in Radiation Chemistry, Am. Chem. Soc., Washington, D.C., 1975.

 

Dans le cas où la molécule porte un moment dipolaire, la formule L.G.S. doit être corrigée puisque, en plus de la polarisabilité induite, le moment dipolaire, m, va interférer avec le champ électrique de l’ion.  La constante de vitesse de réaction devient :

k  =

 

Dans cette  équation, 

k dans le membre de droite, représente la constante de BOLTZMANN et
T la température absolue du réacteur.

Celle formule représente la constante de vitesse de réaction pourvu que le dipôle électrique de la molécule reste convenablement orienté dans le champ électrique : c’est ce que l’on nomme l’hypothèse du dipôle bloqué ou verrouillé. Sous l’influence du mouvement brownien, cela n’est pas le cas. Pour tenir compte de la rotation de la molécule, SU et BOWERS (1973) ont corrigé la formule précédente en y introduisant un paramètre C qu’ils ont su, par ailleurs, calculer :

k  =

 

Les grandeurs k et T ont la même définition que dans l'équation précédente. 

 

Tableau 11.2. Exemples de constantes de vitesse de réactions ion/molécule polaire à 300 K

Réactifs

k (10-9) cm3· molécule-1·s-1)

expér. L. G. S. dipôle bloqué S. B.
NH3+   +  NH3 2,3 1,18 5,37 2,2
H3O+   +  H2O 2,6 0,94 5,89 2,3
H3+   +  ClCH=CH2 4,6 3,90 11,25 5,13
CH5+   +  ClCH=CH2 1,97 1,72 5,02 2,13

Réf. :  Lias, S. G. et P. Ausloos, Ion-molecule Reactions : their Role in Radiation Chemistry, Am. Chem. Soc., Washington, D.C., 1975.

 

Ce tableau montre que les constantes de vitesses calculées selon l’approche de SU et BOWERS sont plus en accord avec les celles mesurées expérimentalement. Par ailleurs, ces deux tableaux sont révélateurs de l’importance de la valeur des constantes de vitesses des réactions ion/molécule : ces réactions sont pratiquement aussi rapides que les vitesses de collisions (voir Chapitre 2).

 


3. Transfert de charge


RH2+  +  R'H2  ®  RH2  +  R'H2+         DH < 0 kJ·mol-1

Les réactions de transfert de charge ont été abondamment décrites dans la littérature. La vitesse de réaction est d’autant plus rapide que l’exothermicité est grande par valeurs négatives. Ces réactions procèdent avec des énergies d’activation probablement nulles (dans le cas des réactions exothermiques) et s’il n’y a pas de réactions compétitives en parallèle, elles ont une efficacité qui tend vers l’unité (Fig. 11.1). Lorsque les potentiels d’ionisation de l’ion donneur de la charge et celui de la molécule réceptrice sont très voisins, on a pu étudier la constante d’équilibre thermodynamique et mesurer le  de la réaction (Tableau 11.3).

M1+  +  M2       M1  +  M2+

 

Figure 11.1. Efficacité du transfert de charge à partir d’ions n-CnH2n+2+
en fonction de l’exothermicité de la réaction.
Réf. :  Lias, S. G.et al., Intern. J. Chem. Kinet., 8, 725-39 (1976).

 

Tableau 11.3. Constantes d’équilibre de réactions de transfert de charge

Équilibre  KT
n-C4D7H3+  +  c-C5H10 C5H10+  +  C4D7H3 5,8 0,09 68,5 - 0,11
n-C7H16+  +  c-C6H12 C6H12+  +  C7H16 5,3 1,1 5,8 - 0,046
c-C6D12+  +  c-C5H9CH3 C6H12+  +  C6D12 2,4 0,59 4,0 - 0,036
c-C6D12+  +  c-C6H12 C6H12+  +  C6D12 3,8 1,5 2,5 - 0,024

Les constantes de vitesse sont exprimées en 1010 cm3·molécule-1·s-1 et DG300 en eV.
Réf. : Lias, S. G. et al., Intern. J. Chem. Kinet., 8, 725-739 (1976).

 

 


4. Transfert de proton

Considérons l’affinité protonique (A.P.) d’une molécule neutre M. Cette affinité est définie comme étant égale à l’enthalpie (au signe près) de la réaction :


M  +  H+  ®  MH+;        DH = A.P.(M)

          ou encore

A.P.(M)    =   DHf(M)  +  DHf(H+-  DHf(MH+)

 

Note: laffinité protonique de M est donc lopposée de lenthalpie de la réaction de formation de lespèce MH+.  Considérons en outre l’équilibre suivant :

M1H+   +  M2    M1  +  M2H+

Il se déplace de telle sorte que la réaction soit exothermique. En d’autres termes, le proton se déplace vers l’entité qui a la plus forte affinité protonique.

Tableau 11.4. Affinité protonique (A.P.) de quelques molécule

Molécules A.P. (kJ·mol-1) Molécules A.P. (kJ·mol-1)
H2 104 ± 10 NH3 207
CH4 > 126 CH3NH2 218
C4H10 > 155,4 (CH3)2NH 225,2
C2H4 160 (CH3)3N 229,4
iso-C4H8 192,5 CH3OH 180
H2O 164 C2H5OH 186
CO2 108 CH3OCH3 187

Réf. :  Lias, S. G. et P. Ausloos, Ion-molecule Reactions: their Role in Radiation Chemistry
Am. Chem. Soc., Washington, D.C., 1975.

 

Les vitesses de réaction de transfert de proton, lorsque la réaction est exothermique, est de l’ordre de grandeur des vitesses de collision, dans la région de 10 à 25 10-10 cm3·molécule-1·s-1. C’est le cas des réactions :


CH3X   +  CH3X+    ®    CH3XH+  +  ·CH2X

Dans cette équation X représente  l'un des atomes ou groupes d'atomes suivants : H, F, Cl, OH, SH, NH2,... C’est aussi la même chose dans le cas d’ions négatifs. Ces réactions de transfert de proton sont à la base d’une méthode d’analyse par spectrométrie de masse par ionisation chimique. Dans un spectromètre conventionnel, la source d’ionisation est un faisceau d’électrons accélérés à 70 eV. L’ionisation des molécules est assez violente de telle façon que l’on observe une fragmentation importante des ions moléculaires. Dans certains cas, cette fragmentation est si importante, que l’on ne peut distinguer l’ion parent M+. La substitution du faisceau électronique (ionisation électronique) par un faisceau de molécules protonées (ionisation chimique) offre une alternative intéressante. Les ions formés sont moins énergétiques et la fragmentation y est donc moins importante.

Les sources d’ions positifs sont, a priori, nombreuses. Plusieurs ont été utilisées. Chacune a des propriétés particulières qui, en fonction de la molécule cible, présentent un intérêt. Mentionnons les plus courantes: l’hydrogène, le méthane, l’isobutane, ...

Une première source d’électrons ionise la molécule choisie. Par exemple, dans le cas de l’hydrogène, il y a formation d’ions H3+, ions très stables (non réactifs) dans l’hydrogène. Dans le cas du méthane, l’ionisation produit deux ions, CH5+ et C2H5+, eux aussi stables dans le méthane et en quantités à peu près équivalentes. L’isopropane forme l’ion iso-C3H7+. L’ammoniac forme des ions NH4+, ...

H2+    +   H2

®      H3+  +  H

CH4+   +   CH4 

®     CH5+  +  CH3

CH3+    +    CH4

®     C2H5+  +  H2

 

Ces ions positifs sont récupérés et projetés sur la molécule cible en cours d’étude. Des ions négatifs sont aussi utilisés comme O- à partir de l’oxyde nitreux N2O.


5. Dissociation  des ions

Lorsque des ions sont formés, ils peuvent l’être avec une énergie interne supérieure à ce qui est nécessaire pour induire une fragmentation : voir ce que l’on vient de dire de l’ionisation par faisceau électronique dans un spectromètre de masse. On peut donc observer la fragmentation d’ions. Par exemple [Collin, G. et J. A. Herman, J. Chem. Soc., Faraday Trans. I, 74, 1939-1944 (1978)] :


[1]   XH+  +  (CH3)2CHCH=CH2    ®   X  +  [(CH3)2CHCHCH3)+]*
[2]   [(CH3)2CHCHCH3)+]*    ®   C3H7+  +   C2H4         DH  =  + 2,14 eV

Dans l'quations [1] X représente l'une ou l'autre des molécules suivantes :  H2, N2, CO2, CH4, N2O et CO. On sait, en outre, que cette réaction est exothermique, de telle sorte que l’ion positif résultant est très excité : tableau 11.5. Cet ion a la possibilité de se fragmenter pourvu que son énergie interne soit supérieure à 2,14 eV.

En se rappelant que la molécule X peut emporter une part (probablement limitée) de l’exothermicité, il est normale d’observer l’apparition de l’éthylène surtout lorsque X est soit l’hydrogène, soit l’azote.

Tableau 11.5. Exothermicité de la réaction [1]

X H2 N2 CO2 CH4 N2O CO
DH([1]) (eV) -3,65 -3,10 -2,53 -2,47 -2,15 -2,00

 

 


6. Transfert d’ion négatif

Divers types de transfert d’ions négatifs ont été observés en phase gazeuse comme en phases condensées. Par exemple, le transfert de l’ion H- est un processus rapide pourvu que la réaction soit exothermique.

CnH2n + 1+     +  RH    ®   CnH2n + 2   +   RH+

Les rapports entre les constantes de vitesse observées et les constantes de vitesse de collision indiquées montrent la rapidité de ces réactions qui procèdent sans énergie d’activation. D’autres transferts d’ions négatifs ont aussi été observés : le transfert d’ions H2- dans la photoionisation du propène-d6 gazeux et dans la radiolyse du cyclopentane-d10 liquide. Des transferts d’ion F- ont aussi été mesurés.

C3D6+     +  RH2    ®  C3D6H2   +   R+

Tableau 11.6. Exemples de constantes de vitesse de transfert d’ions H-

(a) : Rapport entre la constante de vitesse mesurée et la constante de vitesse de collision;
(b) : Thermicité de la réaction considérée en kcal·mol
-1;
Réf. : Lias,  S. G. et P. Ausloos, Ion-Molecule Reactions: Their Role in Radiation Chemistry, Am. Chem. Soc., Washington, D.C., 1975.

 

On voit sur ce tableau que là où les réactions sont exothermiques (enthalpie négative) (valeurs surlignées en indigo), la constante vitesse de réaction est comparable à celle de la réaction de collision physique. Par contre lorsque la réaction est endothermique, la constante de vitesse est beaucoup plus petite que la constante de collision (valeurs surlignées en rouge).


7. Condensation

Des réactions de condensation sont aussi possibles avec les ions. La polymérisation ionique en est un exemple évident. En spectrométrie de masse, à très basse pression on a pu montrer divers types de réaction de condensation :

A+     +  B    ®   A¾B+        ou        A-     +  B    ®    A¾B-

C2H4+     +  C2H4    ®    C4H8+            k  =  9,6 10-10   cm3·molécule-1·s-1

Les ions éthyléniques s’additionnent sur les alcènes avec des constantes de vitesses de réaction de l’ordre de 10-10 cm3·molécule-1·s-1. Ces condensations concernent plus de 80 % de l’interaction ion/molécule. Certaines de ces réactions de condensation sont connues comme des réactions de détachement associatif. En même temps que la condensation, un électron est éjecté :


A-     +  B    ®    A¾B    +  e-

Si le produit intermédiaire A¾B- (ou A¾B+) contient une énergie interne suffisante, l’ion de condensation peut se dissocier, à moins d’être stabilisé par collision. Ces fragmentations conduisent parfois à l’élimination de petites molécules.

CH3+     +  CH4    ®   C2H5+   +  H2
C2H5+     +  C2H6    ®  C4H9+   +  H2
tert-
C4H9+     +  tert-C5H11OH    ®  C9H19+   +  H2O
tert-C4D9+     +  tert-C5H11Br    ®  C9D9H10+   +  HBr

Un type de réactions très particulier intervient en phase gazeuse tout spécialement lorsque l’ion est en présence de molécules neutres et polaires. Il y a formation de grappes qui ne sont pas sans rappeler la solvatation des ions en phase liquide.

NH4+   +   NH3 NH4(NH3)+
NH4(NH3)+   +   NH3 NH4(NH3)2+
NH4(NH3)2+   +   NH3 NH4(NH3)3+ ...
NH4(NH3)i+   +   NH3 NH4(NH3)i+1+ ...

Les équilibres sont évidemment très influencés par la pression selon le principe de LE CHATELIER (Fig. 11.2) : au fur et à mesure que la pression croît, la formation de grappes de plus en plus grosses est favorisée.

Figure 11.2. Photoionisation de la méthylamine à 123,6 nm et à 300 K
Pourcentage de l’ionisation totale en fonction de la pression.
Réf. : Hellner, L. et L. W. Sieck, Int. J. Chem. Kinet., 5, 177 (1972).

 


8. Polymérisation ionique

Les polymérisations ioniques sont en première approximation,  sur le plan de la cinétique, très similaires aux polymérisations radicalaires. On saura identifier les étapes d’amorçage, de propagation de chaîne cinétique et de rupture de chaîne. Tout comme en polymérisation radicalaire, le processus d’amorçage aura un rôle particulier en ce qui a trait à la cinétique globale. On pourra aussi déterminer une longueur de chaîne cinétique... Il y aura toutefois des différences significatives. Par exemple, le processus de rupture de chaîne en polymérisation radicalaire est parfois lié à la recombinaison de deux radicaux polymériques en croissance (chapitre 10.5). En polymérisation ionique, la réaction entre deux ions de même charge (positive ou négative) est un processus peu favorable étant donnée la répulsion électrostatique. On assistera plus vraisemblablement à un transfert de charge de la chaîne polymérique en croissance vers une molécule plus légère comme le monomère. En outre, tel que vu dans les premiers paragraphes de ce chapitre, la constante diélectrique du solvant jouera un rôle déterminant sur la séparation des charges. Dans un solvant de haute constante diélectrique, la polymérisation sera le fait d’ions libres (porteurs de chaîne). Au contraire, dans un solvant de faible constante diélectrique, les porteurs de chaîne peuvent être des pairs d’ions...

Soit le mécanisme général de polymérisation cationique suivant :

[1] C  +  RX      R+   +  CX-

amorçage

[2] R+  +  M ®     RM+ propagation 
de 
chaîne
[3] RM+  +  M ®     RM2+
[4] RMn-1+  +  M ®     RMn+
[5] RMn+   +  M ®     RMn   +  M+ transfert de chaîne 
en croissance
[6] RMn+  +  CX- ®     RMnX    +  C

rupture de chaîne

 

L’exemple décrit correspond à un système où il y a complète séparation de charge (milieu ayant une constante diélectrique élevée). Ce peut être par exemple la polymérisation de l’isobutène dans le chlorure de méthyle catalysée par le trichlorure d’aluminium.  Dans ce cas :


º  (CH3)2C=CH2         RX  º  CH3Cl        C  º  AlCl3         R+   º  CH3+
RM+  º  CH3CH2C(CH3)2+        RMn+  º  CH3[CH2C(CH3)2]n+

S’il n’y a pas complète séparation des charges, le même mécanisme doit être réécrit en associant l’ion négatif CX- à chacun des ions positifs : RM+CX-, R Mn+ CX-, ...

La vitesse de polymérisation peut s’écrire :

Il faut noter ici que si la réaction de transfert de chaîne, réaction [5], vient limiter la longueur de chaîne de la macromolécule en croissance, elle ne modifie pas la longueur de la chaîne cinétique . La vitesse de réaction de rupture de chaîne, vrupture, peut être mise sous la forme :

vrupture   =   krupture  Sn [R Mn+]  

En effet, ceci peut se comprendre par le fait que chaque ion positif traîne dans son voisinage son ion complémentaire. On peut donc considérer que la paire d’ions se comporte, cinétiquement parlant, comme une simple entité. En appliquant le principe de quasi-stationnarité aux chaînes en croissance, et en admettant que les vitesses des réactions d’amorçage, vam, et de rupture de chaîne, vrupture, sont identiques, vrupture = vam , on peut écrire,

Sn [R Mn+]  = 

 

On obtient ainsi une vitesse de polymérisation qui dépend de la vitesse d’amorçage de façon similaire à ce qui est observé en cinétique de polymérisation radicalaire.

 


9. Les intercepteurs d’ions

Les réactions de type ion/molécule se suivent, s’étudient relativement bien par des techniques de type spectrométrie de masse. Est-il possible de les étudier dans d’autres systèmes, par exemple à hautes pressions ou en phase liquide, là où les spectromètres de masse ne sont pas toujours d’usage facile. La technique des intercepteurs dont on a indiqué le principe avec les radicaux (Chapitre précédent) peut, dans certains cas, être utilisée. Il faut rappeler la grande vitesse des réactions ion/molécule lorsque la réaction est exothermique, grande vitesse semblable à la vitesse de collision. Il sera donc difficile dans ces cas de trouver un intercepteur susceptible de concurrencer la réaction ion/molécule. Ce n’est cependant pas toujours le cas : il existe aussi des réactions ion/molécule très, voire extrêmement, lentes. Dans ces cas, si l’on dispose d’un additif susceptible de réagir avec une grande efficacité avec un ion autrement peu réactif, il sera possible de révéler la présence d’intermédiaires ioniques.

Sans entrer dans de nombreux détails (on pourra trouver de nombreux exemples dans la littérature), on peut au moins suggérer deux types d’intercepteurs. Tout d’abord, il y a ces molécules ayant une très grande affinité protonique : l’ammoniac, les amines (voir Tableau 11.4). Ainsi, lorsque du méthane gazeux est soumis au rayonnement ionisant d’une source de cobalt 60, l’ajout de quelques pour cents d’ammoniac révèle la présence d’éthylène. Cette formation d’éthylène est expliquée sur la base de la formation d’ions éthyles. De la même façon, des ions propyles ont été observés dans la radiolyse du butane normal en phase gazeuse.


C2H5+     +  NH3    ®    C2H4   +  NH4+

La facilité du transfert de charge est aussi une filière à exploiter. Dans la radiolyse de l’éthylène, il se produit des ions C2H4+ qui se condensent facilement sur l’éthylène (voir ce chapitre, paragraphe 7). Les ions C4H8+ qui en résultent s’additionnent très lentement sur l’éthylène pour donner des ions C6H12+. En ajoutant un intercepteur convenable, on a pu mettre en évidence la formation de divers butènes linéaires :


C4H8+     +  NO    ®    C4H8   +  NO+

Il existe aussi des intercepteurs d’ions négatifs et d’électrons.  Là encore, pour que l’interception se fasse, il faut que l’ion porteur de la charge négative (ou des charges négatives) ait un temps de vie suffisamment long dans le milieu considéré.  Par ailleurs, il faut se souvenir que les électrons peuvent porter une énergie cinétique nulle ou considérable.  En chimie nucléaire, les électrons peuvent supporter des énergies de plusieurs millions d’électronvolts.  En chimie, considérons seulement des électrons thermalisés (dont l’énergie est celle donnée par le principe d’équipartition de l’énergie thermique).  Ces électrons trouveront dans le milieu la ou les molécules qui ont la plus grande affinité électronique et seront vraisemblablement portés par une telle molécule.  Parmi les molécules ayant une affinité électronique importante mentionnons le tétrachlorure de carbone, le protoxyde d’azote.  Le tétrachlorure de carbone forme facilement les ions CCl4- et Cl- et le protoxyde d’azote, l’ion N2O-.

 



10. Conclusions

  • L’effet du champ électrique d’un ion exacerbe la polarisabilité de la molécule. Le résultat net est que l’on observe à l’occasion des vitesses de réactions supérieures à la vitesse de collision physiques. Tout se passe comme si les sphères physiques des molécules en collision étaient remplacées par les sphères déterminées par les champs électriques.
  • Les vitesses de réaction sont souvent voisines des vitesses de collision (cas où les DH de réaction sont négatifs).
  • On observe des réactions ioniques similaires à celles observées avec les radicaux par exemple : dissociation, addition, polymérisation,...
  • Il existe aussi des intercepteurs d’électrons thermalisés.

 


Exercices

1- La radiolyse de l’isobutène en phase gazeuse produit du propène. Lorsque le mélange iso-C4H8 : iso-C4D8 : O2 (50 : 50 : 10) est irradié, on observe la formation des propène-d0, -d1, -d5 et -d6 en quantités équivalentes. Proposez un mécanisme réactionnel de formation de ces propènes. On note que l’addition d’oxygène moléculaire (10 %) est sans effet sur la production de ces propènes alors que celle d’ammoniac en diminue les rendements.

Dans le même mélange, il se forme de l’allène-d0 et -d4 en quantités également équivalentes, proposez également un mécanisme réactionnel. Dans ce cas, l’addition de 10 % d’oxygène ou d’ammoniac est sans effet sur les rendements en allène.

 

2-  Un hydrocarbure saturé CnH2n+2 pur est soumis à un rayonnement ionisant. À l'analyse, on se rend compte qu'il se forme de l'isobutane.

En ajoutant de 2 à 10 % d'oxygène moléculaire, le rendement en isobutane diminue de 58 % quelle que soit la concentration d'oxygène. Si au contraire on ajoute de 1 à 5 % d'ammoniac, le rendement est atténué de 70 % quelle que soit la concentration d'ammoniac. Finalement, l'addition simultanée d'oxygène (5 %) et d'ammoniac (5 %) fait complètement disparaître la formation d'isobutane. Quelles sont les proportions d'isobutane formé exclusivement par voie radicalaire ? Exclusivement par voie ionique ?

 

3-   La radiolyse du propane gazeux donne lieu à la formation d'éthane. Comment, expérimentalement, pourriez-vous choisir entre l'une ou l'autre des trois propositions de mécanisme qui suivent :

a- C3H8** ® C2H6 + :CH2

b- C3H8** ® C2H5 + •CH3
     •CH3 + •CH3 ® C2H6

c- C3H8** ® C2H5+ + •CH3 + e-
     C2H5+ + C3H8 ® C2H6 + C3H7+

Note : C3H8** est une espèce à court temps de vie devant la collision physique et C2H5+ est une espèce à long temps de vie devant la collision physique.

 


Pour en savoir plus :

Ausloos, P., Ion-Molecule Reactions in the Gas-Phase, Advances in Chemistry Series, 58, Amer. Chem. Soc., 1966, (Editeur R. F. Gould).

Lias, S. G. et P. Ausloos, Ion-Molecule Reactions: Their Role in Radiation Chemistry, Am. Chem. Soc., Washington, D.C., 1975; QD 655 L693.

Harrison, A. G., Chemical Ionization Mass Spectrometry, CRC Press, Inc., Boca Raton, Florida, 1983.

Franklin, J. L., Ion-molecule Reactions, vol. 1 et 2, Butterworths, Londres, 1972; QD 501 F832.

 

Sur le NET :

On ne doit pas se priver de faire des recherches sur le Net tout en maintenant un regard critique sur la qualité des sites observés.  Privilégier les sites gouvernementaux, universitaires, les grandes industries, les Fondations, ...



VAN DER WAALS 
          

http://nobelprizes.com/nobel/physics/1910a.html (site visité le 2020-11-06)  et beaucoup d'autres sites.

 

Dernière mise à jour: 2021-07-02.

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