L’intérêt d’une théorie de l’épistolaire n’est plus à démontrer, mais pourquoi prêter une attention particulière à la lettre familière renaissante ? Pour la richesse de son patrimoine  culturel. Pour le rôle qu’elle a joué dans l’essor et la diffusion de l’humanisme. Pour son importance quantitative, stratégique et décisive à l’ère du cicéronianisme. Parce qu’elle est à la croisée des chemins de l’intime qui mènent du portrait moral à l’autobiographie, en passant par l’essai. Parce qu’elle était appelée à connaître le succès que l’on sait, le déclin que l’on connaît, et qu’elle intéresse en ce sens  – plus que tout autre type de lettre – l’histoire des genres littéraires. Enfin, et par-dessus tout, parce que c’est au XVIe siècle qu’elle fait l’objet d’une théorisation systématique et revendique pour la première fois un statut générique. Qu’est-ce qu’une lettre familière à la Renaissance ? Est-ce celle que l’on adresse à des parents,  des amis ou des serviteurs, celle qui traite d’affaires personnelles ou bien celle qui, indépendamment du sujet, utilise un style informel ? Car il importe de savoir si est constituée ou non à cette époque l’idée même d’un genre distinct, d’une pratique singulière régie par un ensemble de prescriptions déterminées.

Conçue dans l’Antiquité comme simple substitut à la conversation amicale, la lettre familière est aujourd’hui considérée comme un vecteur privilégié de l’intime. Or, nous verrons que c’est en tant que véhicule idéologique, outil de polémique et genre littéraire qu’elle fut exploitée par les humanistes. Comment expliquer un tel changement de paradigme ? Avant de risquer une explication, il faudra mettre en résonance le corpus constitué par ces lettres avec celui d’où elles tirent ou non, on le verra, leur principe organisateur : les manuels d’épistolographie. On aurait tort, en effet, de considérer la lettre comme un genre intemporel, indépendant de toute normalisation et dont les composantes seraient demeurées les mêmes depuis son invention jusqu’à nos jours. Certes, le truisme de la « conversation avec un absent » a traversé les âges et tout le monde semble d’accord pour en faire la définition essentielle, toutes espèces confondues, du genre épistolaire. Mais que sait-on vraiment de la pratique médiévale et renaissante de la lettre? Les artes dictaminis et les manuels d’épistolographie ont-ils relayé sans intervention la conception classique ? Celle-ci diffère-t-elle de la théorie actuelle ? Il semble que le principal obstacle à une définition moderne de la lettre réside justement dans l’évacuation par la critique du donné historique.

 
Notre problématique ressortit à la théorie des genres par son double objet. Elle implique une caractérisation précise de la lettre familière à travers une typologie comparée des écrits théoriques et pratiques, et pose la question de son éventuelle appartenance à une rhétorique humaniste de l’épistolaire. Avant de risquer une réponse, il faudra effectuer une étude comparative d’un corpus relativement large, considéré diachroniquement et sous l’éclairage d’une analyse rhétorique. Il s’agira d’abord d’expliciter les thèmes, les stratégies argumentatives, les topoi et les procédés de style employés dans ces lettres, en tenant compte du lieu d’inscription de chacun des éléments. Les structures rhétoriques de la lettre, une fois dégagées, seront mises en relation avec les modèles suggérés par les ouvrages théoriques afin de voir s’il y a convergence ou divergence et à quels niveaux.

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