Fête de nuit

Nicolas Lancret, La danse de la Camargo

(© Washington, National Gallery of Art, détail)

[incipit]

(Une fête de nuit dans un grand parc)

LA REINE : Un page. Qu’est-ce qu’un page?

LE PAGE : Une miette de tendresse dans un pourpoint couleur de gorge et de jupon.

LA REINE : Qu’elle tombe sous la table.

LE PAGE : À vos pieds que j’adore!

LA REINE : Taisez-vous, fou. On vient.

(Ils sortent. Entre un personnage masqué porteur d’une guitare)

LE MASQUE : En plongeant dans la vie on atteint trop vite le fond de soi-même! On s’y blesse et l’on en garde une cicatrice indélébile. Impossible désormais d’être autre… Pourquoi ne m’intéressé-je plus à ce qui m’entoure? Mais aussi, pourquoi ne m’arrive-t-il rien?

(un homme déguisé en fantôme entre)

L’HOMME : Ayant revêtu ce soir l’habit d’un fantôme, j’ai perdu la notion de moi-même… Un fantôme, c’est moi. Je ne résiste plus, je suis chassé de moi par ce qui m’arrive.

LE MASQUE : Et que vous arrive-t-il?

L’HOMME : Je ne sais plus : ma mémoire fut chassée la première. Mais ce doit être merveilleux : je suis le fantôme dont nul ici n’a peur. Pourtant, ce n’est pas faute de soin apporté à la préparation de mon costume : toutes les femmes que j’ai connues m’ont prêté leur concours, et trois maîtresses que j’adorais hier mirent la dernière main à ma traîne de ténèbres. En récompense, elles ont liberté pour la nuit, et, présentement, courent sous les ombrages. Si, d’aventure, …

LE MASQUE : Pourquoi peiner pour adopter un déguisement? Moi, je suis toujours masqué!

L’HOMME : L’indifférence de la nuit accepte toutes les attitudes : la vôtre, la mienne, comme celle de ce couple qui vient… Laissons-lui la place.

(Ils se cachent. Un couple : lui, grand, en costume romantique; elle, en bergère, écharpe sur les reins, et mollets nus aussi hauts qu’on les voit)

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