L’agonie du globe

Quoi qu’il en soit, un curieux mouvement se fit jour dans l’opinion des foules : elles firent grief aux hommes de science de leur impuissance, de même que le malade en veut au médecin qui ne peut le guérir. Était-ce la peine, se disait-on, d’entretenir à grands frais des Universités, des Laboratoires, des Facultés pour n’en tirer que des parlotes sans efficacité ? Le ressentiment de l’homme moyen peut s’évaluer au détail suivant : lors d’une journée des laboratoires qui, selon la coutume, fut organisée en Angleterre au profit de l’Université de Cambridge, l’appel fait à la charité publique, au lieu des milliers de livres sterlings attendus, ne donna que quelques shillings. En France on disait péremptoirement : « Le monde n’a pas besoin de savants. »

Ceux-ci, avec l’abnégation qui les caractérise, n’en continuaient pas moins leurs observations et leurs déductions. Un communiqué officiel fut fait par la Commission Européenne des Relations avec le Nouveau Monde. Ce fut la première fois dans l’histoire, qu’un communiqué, procédant d’un organisme gouvernemental, ne portait que sur des faits scientifiques et astronomiques. Le communiqué disait :

« Il est scientifiquement établi que l’ensemble formé par l’Ancien et le Nouveau Monde, et qui constitue ce que nous appellerons toujours la Terre, continue à se déplacer dans l’espace suivant l’orbite attribuée de tout temps à notre planète dans sa rotation autour du soleil. Le centre de gravité de la Terre dédoublée n’a pas quitté l’orbite accoutumée, et ne peut pas la quitter. Aucune modification dans la marche des jours et des saisons, et d’une façon générale dans les conditions de la vie à la surface de notre monde, ne doit donc être redoutée. Des observations récentes ont montré que, dans une proportion très faible, les deux hémisphères tendaient à s’écarter l’un de l’autre. Il serait prématuré de tirer dès maintenant des conclusions de ce fait, mais l’écart irait-il s’accentuant que la rotation de la terre n’en serait pas troublée. Les seules perturbations astronomiques qui pourraient à la longue en résulter, ne se feraient sentir que sur la lune. »

© Gallimard

(L’agonie du globe, p. 95-96)

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