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Réflexion sur le vendredi saint : Faire mémoire de notre vulnérabilité

 Enfant j’aimais bien la période de l’année qui allait du Carême à la fête de Pâques. Il y avait bien  le dimanche où l’on pouvait, après un 40 jours sans sucrerie, faire une véritable orgie de chocolat.   Mais sans trop le dire  c’est le vendredi saint qui attirait mon attention. Le chemin de croix à l’Église était sans conteste mon moment préféré. J’appréciais principalement la visite des différents tableaux présentant le parcours du prophète de Nazareth qui allait de son procès à sa mise en croix et sa mort dans un supplice intenable et injuste. La lecture des textes, malgré la lourdeur et la lenteur de l’exécution,  nous plongeait dans le monde trop oublié ou caché de la souffrance et de l’injustice.

N’allez surtout pas croire que je suis nostalgique de ce temps passé et bien révolu dans notre société sécularisée. Cependant  encore aujourd’hui et malgré mes distances importantes à l’égard de l’institution ecclésiale, je ne peux m’empêcher d’être émue devant  ce prophète déchu qui portait  un rêve trop grand pour notre monde. Celui de l’égalité entre les hommes et les femmes, entre les grecs, les romains et les juifs, entre les pouvoirs politiques  et les sans voix. Dans une société sclérosée, il a eu le courage de chasser les vendeurs du temple qui exploitent les plus faibles pour maintenir leur pouvoir et leur privilège.   Et le verdict prévisible d’un procès tronqué  tombe : À-mort …en lieu et place de l’A-mour qu’il souhaitait propager.   Et le voilà tout à coup fragile chancelant,  tombant  pour une première, une deuxième et  une troisième fois, se relevant sans cesse en empruntant  le chemin  qui allait le mener à son calvaire mais aussi à la plus grande des tristesses : le    sentiment d’être abandonné de tous, le doute sur le sens qu’il a donné à sa vie. Ses dernières paroles   ont été les suivantes: : « Père pourquoi m’as-tu abandonné? »  La question d’un humain qui doute de lui, de ses proches qui se sont cachés, de son Dieu qui ne l’a pas sauvé.    Un cri qui dévoile  une   détresse spirituelle profonde, un sentiment d’abandon  d’une violence innommable.

Je regrette souvent que le christianisme n’ait retenu dans ses longues catéchèses que le dimanche de Pâques en passant presque  sous silence l’expérience humaine du vendredi saint où se dévoile le non-sens de la souffrance (pourquoi moi?),  la violence de la mort et la peur qu’elle induit en chacun de nous. Je n’apprécie  pas que l’on parle de résurrection, de lumière quand les humains sont dans la noirceur. Je n’aime pas que l’on utilise la vulnérabilité des personnes  pour faire taire leur cri. Tout cela ne rime à rien et ne soulage que ceux ou celles qui restent du côté des vivants. Combien de personnes malades ou qui viennent de recevoir un diagnostic de maladies graves, en fin de vie   aimeraient crier qu’elles se sentent abandonnées et retiennent leur cri pour ne pas déplaire à leur entourage pour simuler une « belle et bonne mort ». La bonne mort ce n’est pas la mort silencieuse, c’est la mort de la personne à qui  l’on donne l’espace pour que sa vulnérabilité trouve un lieu pour elle et pour ses proches également. C’est la mort debout dans un don de soi mutuel.


Photo: depositphoto/veneratio