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Avons-nous encore du temps pour la mort?

Le temps de la mort est bien différent de celui des vivants  qui s’écoule et se décompose en journées, heures, de minutes, secondes. Ce serait tellement plus simple de gérer la mort comme nous gérons notre vie. C’est un peu comme les accouchements: nous préférons la césarienne  pour éviter l’insécurité liée au fait de ne pas pouvoir planifier le moment où le bébé arrivera.  La mort ne devrait-elle pas se soumettre à cette logique de calendrier, du temps linéaire?

« Quand pensez-vous que cela va arriver docteur? Est-ce que c’est toujours aussi long? D’après votre expérience elle en a pour combien de temps encore? Mes vacances se terminent bientôt et j’aimerais bien que ça arrive maintenant pour Ne pas avoir à refaire un long trajet? »

Un ami médecin m’a raconté son malaise devant une situation qu’il a vécue et qui a changé sa pratique de gestion de la fin de vie de ses patients. La dame était une octogénaire. Elle était hospitalisée depuis deux semaines et son état ne cessait de se détériorer. Devant cette situation, il annonce aux membres de la famille qu’il serait peut-être temps de retirer le respirateur.

« Si vous êtes d’accord, on va passer la nuit et demain matin on va la laisser respirer par elle-même.. On pourrait se revoir  demain matin vers 8 h, et on verra si c’est toujours la bonne décision et si vous êtes tous d’accord. La nuit va vous permettre de décanter le tout. « 

Devant la fin annoncée, un horaire de veille est organisé. On forme des équipes de deux qui vont se relayer aux trois heures. Pas question de la laisser seule. La nuit a été difficile, chargée d’émotions, mais tous ont collaboré, profité de ces derniers moments en compagnie de leur mère ou belle-mère.  Au petit matin, ils étaient rassemblés pour « le débranchement ».  Il y avait de l’émotion, de la nervosité, car il s’agit certes d’une étape difficile pour la famille. À l’heure convenue le médecin entre dans la chambre et leur annonce la nouvelle suivante:

 « L’état de votre mère s’est stabilisé cette nuit. Ses signes vitaux sont meilleurs et sa respiration moins difficile. Si vous êtes d’accord on pourrait prolonger de 24 heures  l’assistance respiratoire, car il y a une petite chance que son état puisse  s’améliorer ».

Ces paroles ont été accueillies par un long silence, un énorme malaise s’est installé autour du lit de la malade. Les enfants et le conjoint  se sont regardés et la réponse timide , hésitante s’est fait entendre :

« Nous sommes tous là, vous nous aviez dit que nous pourrions lui retirer ce soutien respiratoire . Notre mère , nous la connaissons bien, elle nous a toujours dit qu’elle ne voudrait pas vivre diminuée et être un fardeau pour nous. Il serait donc préférable de s’en tenir au plan initial. Sans compter que deux d’entre nous doivent quitter aujourd’hui, ils ont épuisé leurs vacances. »

Le médecin a procédé au retrait du respirateur et la dame  est décédé quelques heures plus tard.Il ne convient pas ici de poser un jugement éthique sur cette situation. Et il est tout à fait vraisemblable que la mère, étant donné son âge  et son caractère, n’aurait pas voulu vivre avec des séquelles importantes. Mais  imaginons un scénario différent. Si l’un des membres de la famille avait opposé une résistance face à cette décision qui aurait pris en charge la situation conflictuelle?  À qui revient la décision lorsque le consensus n’est pas possible?

Nous devons collectivement résister à toute tentative de soumettre le temps de la fin de vie à celui du temps de la vie. Les derniers moments de ce qu’on appelle ou appelait l’agonie sont des moments porteurs d’une forte dose d’anxiété et de stress . La fatigue gagne tout le monde, des paroles blessantes sont souvent prononcées. Il s’agit d’une étape à haut risque  au plan psychosocial. Malheureusement les familles sont majoritairement laissées à elle-même avec peu de moyens et de ressources à leur disposition. Combien de familles disloquées à ce moment, de liens brisés à tout jamais ?  Comment gérer et traverser cette période de perturbation sans trop de dommages relationnels ? Il n’y a pas de recettes miracles, mais la pratique du dialogue est certainement un condition de réussite. Il faut chercher le consensus et trouver les moyens pour qu’il puisse se concrétiser.  Pourquoi ne pas organiser un conseil de famille, un souper ou l’on fait le point sur les émotions de chacun et les décisions à prendre ?  Surtout ne rien précipiter, ne pas ajouter à la douleur existante, éviter la lourdeur d’un conflit à venir. Il y aura encore bien des étapes à traverser et vaut mieux les vivre dans la paix.


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