La question qui tue ou conversation de salon…de coiffure

 

Il m’arrive assez régulièrement d’avoir à répondre à la question :  » Vous travaillez sur quel sujet ? » Plus souvent qu’autrement , j’essaie d’éviter de répondre ou je reste très évasive,  genre je travaille sur les rites de passage, prenant bien soin de ne pas préciser lequel a ma faveur. Mais quelquefois  j’ose  dire à mon interlocuteur : « Mes projets actuels portent sur la mort et le mourir. Le dossier de l’Aide médicale à mourir me préoccupe beaucoup. »

Il n’est pas rare que la personne accuse le choc en me regardant  d’une drôle de façon tant et si bien que je lis  sur  son visage les phrases qui déferlent dans sa tête : «  Est-elle vraiment normale? »   «  C’est quoi son problème »? « Mon Dieu qu’elle doit être déprimante, je plains son conjoint »?

Ce midi j’avais rendez-vous avec Katou ma coiffeuse. Je vous ai déjà parlé d’elle. Entre deux clientes elle est allé voir « tante Jeannot », une dame âgée de 86 ans qui est à l’hiver de sa vie . Je lui demande : «  Est-ce la sœur de ta mère ou de ton père ? » Elle me dit : «  Non c’est la tante de mon amie. Je voulais aller la voir. Elle dormait quand je suis arrivée, elle n’a pas ouvert les yeux mais peu importe je sais qu’elle sait que j’y étais. »

Spontanément j’ai posé à Katou la question qui tue : « Pourquoi aimes-tu t’approcher des personnes en fin de vie, pourquoi tu n’as pas peur de parler de la mort »? Je m’attendais à un moment d’hésitation mais contrairement à moi elle me répond sans l’ombre d’une hésitation, comme si je lui parlais de la pluie et du beau temps : « Tu sais ce n’est pas ben compliqué, chaque fois que je reviens d’une visite à l’hôpital, je me sens plus en vie, je me dis que la vie est merveilleuse et que j’ai moi ce privilège d’être encore là. Je n’ai jamais l’impression d’être proche de la mort mais bien de la vie. La mort ne m’intéresse pas en fait.  Pis tu sais en plus, il n’y pas d’école pour apprendre à mourir, moi j’aimerais que ça se passe bien et la seule façon que j’ai trouvé pour apprendre c’est de me faire proche de ceux et celles qui arrivent au bout du chemin. » Là-dessus elle a donné son dernier coup de ciseau, une nouvelle cliente arrivait et on s’est dit à la prochaine fois.

En la regardant s’éloigner de ma chaise,   je me disais à quel point elle disait  vraie . On ne travaille jamais sur la mort mais dans la vie! La mort n’a pas d’existence ni pour nous ni pour celui qui s’apprête à partir. Elle est une abstraction. La pire chose qu’il puisse arriver autour du lit d’une personne en fin de vie serait de la considérer déjà comme morte. Les personnes  qui sont malades ont quelquefois cette impression d’être mises à l’écart, de vivre dans une autre dimension comme si la mort et la souffrance étaient contagieuses. Leur solitude est immense. En gardant le contact jusqu’au bout, en dépassant notre peur de la mort pour rester obstinément du côté de la vie, nous les aidons à se préparer à un départ à hauteur de dignité.   La vie qui appelle la vie autrement et  peu importe qu’il y en ait une autre ou pas.  Merci Katou et bon week end.

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