Cette semaine le Ministre de la santé pensait probablement frapper un grand coup lorsqu’il a organisé ce repas pour annoncer un changement à venir dans l’alimentation des bénéficiaires en CHSLD. Il y a quelques mois, l’épisode des patates avait mis le feu aux poudres. Mais à observer les regards et les malaises des convives présents, on peut se demander pourquoi nous avons été aussi nombreux et nombreuses à ressentir un malaise devant cette mise en scène burlesque. Mon hypothèse est la suivante: le Ministre a joué à l’apprenti sorcier en instrumentalisant à des fins personnelles le rituel du repas, se mettant ainsi les deux pieds dans les plats.
L’anthropologie nous apprend que le repas est un rituel d’interactions sociales qui transforme et humanise le besoin vital et organique de manger. Par la force de la symbolique le besoin « animal » de se nourrir devient occasion de partager entre nous, de se rencontrer. Le repas est un geste de culture, de reliance où le plus fort ne s’approprie pas la meilleure part mais partage avec ses proches, ses amis, ses invités. Le repas comme le dirait Jacques Godbout fait circuler le don et le contre-don. Don de nourriture mais également don de soi, de la parole donnée, de l’échange gratuit, de l’alliance scellée, de la mémoire fondée.
Plus encore, ce repas n’avait aucune performativité au plan rituel dans la mesure où il s’est construit sur un oubli fondamental : l’absence même des premiers convives c’est à dire les bénéficiaires en CHSLD. Ainsi ce repas tenait plus des anciens repas de famille sous l’autorité d’un pater familias qui fait dresser la table en oubliant d’inviter les premiers concernés. Pas étonnant dans un tel contexte que nous soyons plusieurs à nous dresser contre une telle mise en scène et que les personnes présentes ne dégageaient que de l’embarras et de l’ennui.
En terminant j’aimerais citer un extrait du film culte d’où je tire le titre de cet article:
- C’est vraiment fatiguant d’être intelligent
- Je sais pas, faudrait que j’essaie !
Photo tirée du Devoir du 24 novembre 2016. J. Boissinot, La presse Canadienne