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Je ne t’ai pas tenu la main…

Tu te réveilles un matin et tu te dis qu’aujourd’hui tu devras trouvez du temps pour la visiter. Un sandwich saisi à la course au comptoir de la cantine, que tu manges dans la voiture pour aller prendre de ses nouvelle. je serai sa seule visite de la semaine! Déjà sept ans que l’Alzheimer est entrée dans sa vie et dans la mienne. Le sommeil se dissipant je réalise soudain  qu’elle n’est plus là,  qu’elle est partie il y a déjà trois mois. Et tu reprends le récit de son départ. Et la question de l’intervenante qui me hante sans cesse:  » Ne vous en faites pas j’étais là et je lui ai tenu la main »….

C’était la nuit, le téléphone sonne, comme souvent je me doute bien qu’il s’agit d’un appel du CHSLD: « Votre mère est malade, elle a fait un ACV vers 21h00 ce soir, elle ne va pas très bien, pouvez-vous venir à son chevet». Je ne comprends pas, ce matin je  l’ai visitée et elle semblait en forme, elle m’a dit qu’elle avait des nausées mais rien de plus!  Encore engourdie de sommeil je m’habille, met mon manteau, mes bottes, il fait -30 degré Celsius. Parle-moi d’une soirée pour tomber malade! Et je reprends la route en pensant aux nombres de fois où j’ai dû ainsi quitter la chaleur de mon lit pour me rendre à l’hôpital. Est-ce encore une fausse alerte ? Tant de deuils, de pertes mais aussi de bons moments. Je l’avoue du bout des lèvres mais cette maladie, nous a rapprochées l’une de l’autre. Elle ne jouait plus de rôles, elle était plus authentique, plus vraie.

J’arrive au CHSLD. Je prends soin de stationner la voiture, je fais le code d’entrée. Je suis nerveuse car je ne sais pas dans quel état je vais la trouver. L’infirmière assise au poste vient à ma rencontre et elle m’escorte jusqu’à elle. Je peine à avancer, je voudrais partir loin d’ici, ne pas avoir à encaisser une si forte émotion. J’arrive près de son lit aussi fatiguée que si j’avais couru plusieurs kilomètres. Dans son visage les traces d’une importante paralysie. Je lui parle, lui caresse le visage,  prends la main mais elle ne répond à aucun stimulus. Elle semble plonger dans un important coma, cette fois-ci l’AVC est important. Sa tension artérielle est très élevée et elle respire par secousse et sursaute dans  son lit. Je n’aime pas la voir ainsi et je demande à l’infirmière de la soulager. Je ne veux pas qu’elle souffre, les sept dernières années ont déjà été assez dures pour elle. Elle doit être « confortable ». L’infirmière arrive rapidement avec une médication et l’effet est rapide,elle respire plus calmement.

La nuit avance plus de 4 heures que je suis avec elle. Les signes vitaux se stabilisent et je décide de retourner à la maison. Je dois conserver mon énergie, car demain il faudra revenir et peut être après-demain. Que savons-nous du temps que cela va durer? Il y a eu tant de fausse alerte. Je reprends la route. Je sais que je ne dormirai pas mais au moins je ne suis pas dans cette chambre.  J’arrive à la maison congelée, je saute dans la douche et me faufile doucement dans le lit déjà chaud. Je tourne et retourne sans cesse entre mêlant les couvertures. Je ne trouve pas le sommeil, comment va-t-elle? Soudain la sonnerie du téléphone,  je sursaute et soulève le combiné : « Je suis l’infirmière du CHSLD,  votre mère, Mme Simone  est décédée . Je suis désolée. Le médecin va venir tôt ce matin pour faire le constat de décès, si vous voulez venir la voir ce serait le bon moment ». Je suis sous le choc, jamais je n’aurais pensé qu’elle nous quitterait aussi vite. Cette fois-ci c’était la vraie sortie et je n’étais pas là. Je reprends la route, il fait encore plus froid. Mon frère m’accompagne et on se raconte les souvenirs accumulés pendant les dernières années.  Je repense à ce jour où elle me dit : « je ne te connais pas, mais je sais que je t’ai déjà aimé beaucoup, toi. ». Où encore cette x ième fois où voulant savoir où était sa mère et anticipant peut être une réponse qui ne lui plairait pas elle me dit « si tu as une mauvaise nouvelle à m’annoncer je ne veux pas la savoir ». À nos larmes se mêlent nos rires. J’arrive, je tourne le coin et déjà je me dis que j’espère ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit. Nous allons directement à la chambre. Les membres du personnel ont pris soin de changer le lit de place, lui ont remis sa belle jaquette rose qu’elle aimait tant. Les traits de son visage sont moins marqués par la paralysie, elle baigne légèrement dans la lumière. L’infirmière qui nous accompagne  voulant briser le silence, nous dit  : « Vous savez votre mère n’est pas morte seule je lui tenais la main ». Les yeux rougis par les larmes je lui réponds tout en la remerciant d’avoir été présente, que moi ça fait sept ans que je tiens sa main et que de toute façon, on meurt toujours seul! Et je me dis en silence, je le sais que je n’étais pas là, pas besoin d’en remettre !

Peut-être pour évacuer le petit morceau de culpabilité resté accroché à ce lit, je ne peux m’empêcher de repenser à  ce commentaire qui se voulait rassurant. Je me suis questionnée sur l’importance que nous mettons à être là lorsque la personne livre son dernier souffle. Toutes ces familles qui se donnent des horaires pour « veiller » le mourant. Pourquoi tant d’insistance sur ce moment alors que pendant la maladie la personne a été laissée seule si souvent ? Je ne veux pas minimiser le soulagement que peut apporter le fait d’être là quand l’un des nôtres nous quittent et je suis certaine que de mourir entouré des siens peut rassurer mais devons-nous en faire une obligation presque morale? Le « j’étais là quand il est mort », tel un trophée distribué au meilleur ou au plus chanceux d’entre nous.  Ce surinvestissement des derniers instants qui met l’accent sur le dernier dénouement, n’est-il pas le symptôme de notre incapacité à gérer l’ensemble des différentes étapes de l’agonie et du deuil, nous épargnant ainsi d’avoir à nous questionner sur la manière dont nous avons été présents?

Pour ma part, il m’arrive encore aujourd’hui de me réveiller en sursaut, de me réveiller et de penser que je devrai lui faire une visite dimanche.  Elle me manque et sans la chercher, c’est elle qui aujourd’hui dans les moments plus difficiles me tient la main.


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