Les personnes qui ont vécu des deuils se rappellent avec une mémoire vive le premier Noël sans l’être aimé. Je prends le risque de vous parler du dernier Noël que nous avons vécu avec mon père…
Il savait et nous savions tous que c’était la dernière fois que nous célébrions ensemble la fête de Noël. Nous voulions donc faire de cette soirée un moment inoubliable. Dans la nuit du 24 décembre, cette nuit de solstice où la lumière remporte son combat sur les ténèbres, nous étions tous réunis avec et autour de lui. Quelques semaines auparavant, nous avions distribué les tâches: des mets à préparer, des jeux à organiser et des choix musicaux à proposer. Pas d’improvisation, une soirée rôdée au quart de tour et une consigne partagée, mais non formulée : ne pas parler de la maladie, oublier ne serait-ce que l’espace de quelques heures la mort qui se rapproche. Je me souviens de ce Noël et de l’atmosphère qui pesait sur nos rires pleins d’artifices, trop forts pour être vrais. De ces chants qui sonnaient un peu faux dans nos gorges nouées et de cette nourriture que j’ai pris des heures à digérer.
Mon père a passé toute la soirée dans ce fauteuil trop grand pour lui. Il semblait perdu, égaré dans je ne sais quel entre-deux monde. Lui, toujours si heureux de nous voir, se tenait à bonne distance, se contentant d’être un spectateur embarrassé par toute cette agitation .
Quand je repense quinze ans plus tard à cette soirée, je sais que nous avons fait pour le mieux, mais je crois sincèrement que nous sommes passés à côté de la cible. En aucun moment, et c’est là que le bât blesse, nous avons pensé lui demander son avis à propos de cette fête. Nous étions environ trois mois avant sa mort. Il était tenaillé par une peur immense de la fin, il éprouvait une grande colère, il était terrorisé. Ce n’est que dans les derniers jours de sa vie que nous avons réalisé l’immense profondeur de sa détresse. Incapable de détecter les signaux cachés derrière ses nombreux silences, emmurés dans nos images de l’homme fort, nous avons oublié la plus élémentaire des politesses : « Et toi papa, que veux-tu faire à Noël cette année ? » Tout aurait été tellement plus simple pour lui d’abord et pour nous tous.
Aujourd’hui, mes enfants sont maintenant grands et en aucun temps nous ne leur imposons une quelconque obligation de prendre part à l’une ou l’autre fête. Il y a quelques jours, je discutais avec ma fille sur l’importance qu’il y ait cet espace de liberté entre nous. Lors de l’échange elle me fit le commentaire suivant: « Je suis heureuse de ne pas avoir cette pression supplémentaire, surtout que pendant l’année on a tellement d’obligation! Tu sais au chalet à Noël c’est différent, c’est la fête à tous les jours. Nous arrivons à tout moment du jour ou de la nuit, nous sommes accueillis à bras ouverts, il y a souvent des invités et nous savons qu’il se passera quelque chose! »
Joyeuses périodes des fêtes à vous tous et surtout profitez bien de ce moment pour passer du temps avec ceux et celles que vous aimez sans autre obligation que le bonheur d’être ensemble. Oubliez un peu les tourtières et le magasinage, là n’est pas l’essentiel et cela on l’apprend que les nôtres commencent à nous quitter. Et si jamais le cœur vous en dit, faites-moi parvenir vos souvenirs de Noël, tant le dernier avec… que le premier sans. C’est avec plaisir que je partagerai vos récits.
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