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Paris: l’autre guerre

 

Les 48 heures n’étaient pas encore écoulées. Le monde occidental venait d’évoquer le Souvenir du 11 novembre. Comme toutes les autres années, on s’était souvenu du sacrifice de ces millions d’hommes auxquels on avait volé autrefois une jeunesse qui aurait pu être heureuse pour la transformer en cauchemar. Ils furent marqués à jamais. Héros de guerre ? Martyrs de la guerre ? Nous ne saurons jamais vraiment. Entre l’apologie de l’héroïsme et la folie d’un carnage, les mots se sont si souvent confondus. Chaque année ces mots reviennent, et avec le même souhait. Nous ne devons jamais les oublier. Cette année 2015 se sera chargée de « protéger » d’une étrange façon le souvenir d’une jeunesse à jamais brisée et, en même temps, le souvenir d’une folie meurtrière que le destin s’entête à immortaliser sous le paravent d’une quelconque idéologie qui n’a d’autre mot que l’absurde.

Cette fois encore, ils sont jeunes. Cette fois encore, nous pourrons en les évoquant prononcer les mêmes mots pathétiques qui feront verser des larmes. « Vous ne serez jamais comme nous qui vieillirons ». C’est pourtant le seul souvenir que nous devons garder de cette folie. À peine 48 heures et nous pouvions encore, dans notre éternelle naïveté, nous consoler en versant une larme perdue et en nous disant que l’horreur appartenait au passé, à un monde à jamais révolu. Le plus jeune chef d’État du monde occidental ne venait-il pas de prononcer cette phrase d’espoir que tous s’amusaient à répéter comme le font parfois les adultes émerveillés devant les propos gentils d’un gamin que l’on croit surdoué. « Nous sommes en 2015 » Nous ne savions pas alors ce que pouvait être l’incommensurable exactitude de son propos. Oui en effet nous sommes en 2015. Nous sommes 48 heures après un jour du Souvenir bien particulier. En 2015, la vérité aura parlé un peu plus fort. Le temps de nous faire comprendre que la guerre n’était pas finie. Elle vient de se manifester à nouveau mais enrobée d’un autre protocole. Celui que nous appelons le terrorisme. Mais n’est-ce pas la guerre éternelle ? Celle qui met fin à la jeunesse. Celle qui engloutit l’espoir. Celle qui perpétue ces martyrs que nous continuons d’appeler des héros.

Penserons-nous à inclure parmi ceux-ci, les  martyrs de l’amalgame que tant d’esprits échauffés ne manqueront pas de brandir ? Les martyrs d’un Islam injustement associé à ces tueries qui n’ont rien à voir avec une religion dont le mot fondateur signifie « paix » et qui n’ont jamais demandé que leur idéal soit la tuerie ? Martyrs de la confusion de la pensée. Penserons-nous à ces jeunes menacés de l’effet d’entraînement, menacés par leur propre immaturité que des criminels continueront d’exploiter pour les embrigader dans leur prétendue cause ?

Voilà tout ce qu’englobe la guerre que nous présentons comme un souvenir.

Car c’est bien de la guerre qu’il s’agit. D’où vient le mot terrorisme ? Qui prétendra pouvoir distinguer guerre et terrorisme ? Nous sommes vraiment en 2015.   Une année marquée par une grande découverte. La guerre n’est pas finie. Elle s’est enrobée d’un autre costume dans les rues de Paris mais elle n’a jamais cessé  en Iraq, en Syrie, en Turquie.   Elle vient de faucher une autre jeunesse. Elle vient de rappeler à tous ceux qui survivront qu’ils devront commémorer à leur tour « ceux qui ne seront jamais comme eux qui vieilliront ». Elle rappellera aux survivants cette étrange culpabilité qui hantera toujours l’esprit de ceux qui ont survécu. Oui la culpabilité. L’horrible culpabilité de porter malgré nous l’absurdité innée à notre espèce.  La même espèce qui continuera à tuer mais qui se consolera en honorant ses héros qui étaient des martyrs. Les martyrs sacrifiés de la folie. La folie éternelle de la guerre.

 

Jean-Marc Flynn, Ph.D.

Professeur associé au Département des sciences humaines et sociales de l’UQAC.

Collaborateur du « Passage »


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