10
UQAC EN REVUE /
PRINTEMPS 2013
DOSSIER : UN REGARD VERS LES ORIGINES
Jean-François Moreau
Érik Langevin
PHOTOS P
. 10 : JEANNOT LÉVESQUE / PHOTO P
. 11 : GUYLAIN DOYLE
Peuplement et préhistoire en Amériques
En 2011, les professeurs Jean-François Moreau et Érik
Langevin présentent une brillante synthèse de l’origine
de l’occupation régionale intitulée Le peuplement post-
glaciaire de l’Amérique du Nord : 7 000 ans d’occupation
du Saguenay–Lac-Saint-Jean, publiée aux Éditions du
comité des travaux historiques et scientifiques, dans la
collection Peuplements et préhistoire en Amériques,
sous la direction de Denis Vialou. « Ce texte rapporte
l’essentiel des recherches archéologiques accomplies au
Saguenay–Lac-Saint-Jean depuis à peine 50 ans, alors
que la Révolution tranquille québécoise constitue le
contexte de mise en place des premières recherches
dans ce domaine au Québec. » Nous vous en proposons
quelques extraits qui résument clairement l’amorce de
l’occupation humaine du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
« La recherche archéologique actuelle à propos des
peuplements initiaux des Amériques concourt à les
situer entre 12 000 et 25 000 ans BP (avant le présent).
Si cette occupation initiale des Amériques constitue un
essaimage dans un territoire non occupé auparavant par
l’être humain, l’occupation postglaciaire des territoires
septentrionaux de l’Amérique du Nord constitue aussi
une « appropriation » de territoires auparavant non
occupés. En effet, le peuplement initial a eu lieu alors
que sévissaient les calottes glaciaires des Rocheuses et
laurentidienne, dont il convient de rappeler que l’exten-
sion maximale s’étend au sud de la frontière entre le
Canada et les États-Unis, parfois même de façon notable-
ment plus méridionale.
L’occupation initiale du Saguenay–Lac-Saint-Jean s’ins-
crit au sein des processus de déglaciation wisconsiniens.
Ainsi, vers 11 000 BP, la limite de la calotte glaciaire
laurentienne épouse assez étroitement la rive nord du
Saint-Laurent et la calotte elle-même recouvre en consé-
quence l’ensemble du réseau hydrographique du SLSJ.
Mille ans plus tard, la limite passe au travers de l’actuel
lac Saint-Jean et entretient par sa fonte une immense
mer glaciaire dite de Laflamme (Hillaire-Marcel, 1979).
Un demi-millénaire plus tard, vers 9 500 BP, la limite
de la calotte se retrouve nettement à distance au nord
de l’actuel lac Saint-Jean, la mer de Laflamme s’étant
rétrécie dudit lac. Au sud de la mer de Laflamme se sont
étendues les premières végétations colonisatrices de
toundra (Richard, 1977). Vers 8 000 BP, le lac Saint-Jean
n’est plus d’aucune façon nourri par le milieu marin du
Saint-Laurent, dont les eaux marines ne pénètrent plus
au-delà de leurs limites actuelles à Chicoutimi.
Ce sont donc des populations archaïques qui ont assuré
le premier peuplement du SLSJ. Deux lieux situés à
plusieurs dizaines de kilomètres l’un de l’autre illustrent
d’ailleurs ce processus de colonisation initiale. À 25 km
environ de son embouchure sur le Saint-Laurent, sur de
hautes terrasses (60 m d’altitude) à l’embouchure de la
rivière Sainte-Marguerite, un tributaire majeur du Sague-
nay, se retrouvent des sites d’habitations saisonniers. Sur
une terrasse légèrement plus basse, une occupation de
l’Archaïque supérieur constitue probablement l’exemple
le plus occidental d’un mode de vie maritime, avec son
cortège d’outils en pierre polie associé à une exploita-
tion intense du phoque du Groenland. À ce jour, cette
occupation n’offre d’analogie, à distance limitée, qu’avec
un autre site localisé sur la côte nord du Saint-Laurent, à
Grandes-Bergeronnes. Ici se retrouve très précisément la
même combinaison que sur le site de la Sainte-Margue-
rite, à savoir l’exploitation intensive du phoque et l’usage
d’outils en pierre polie. Au Lac-Saint-Jean, quelques sites
dont le principal se trouve à l’extrême est du lac ont livré
des objets qui permettent d’attribuer ces occupations au
début de l’Archaïque supérieur, vers 5 500 BP. À partir
de 5 000 BP, une matière première nordique, le quartzite
de Mistassini, va devenir omniprésente, et même à dis-
tance importante de la source (300 km), constitue encore
l’essentiel de l’assemblage lithique, plus de 60 %.
Les matières « régionales », comprenant particulièrement
le quartzite de Mistassini, constituent dès 5 000 BP les
matières dominantes. L’approvisionnement constant en
quartzite de Mistassini illustre soit le caractère d’enraci-
nement régional des occupations, conforté par ailleurs
par la continuité d’occupation, soit la plus grande acces-
sibilité de cette source versus celles situées au sud du lac.
À ce jour, les occupations archaïques constituent environ
le quart des quelque 450 sites mis au jour dans la région.
Du commencement jusqu’à l’ère moderne
(1825-1850 à aujourd’hui)
Ce tour d’horizon du document archéologique mis au
jour au Saguenay–Lac-Saint-Jean serait incomplet si les
traces archéologiques des activités coloniales n’étaient
pas évoquées. Ainsi, des restes de machinerie témoignent
des activités diverses liées à l’exploitation du bois, cela
depuis la seconde moitié du XIX
e
siècle au moins. Il
existe encore des traces d’activités agricoles, notamment
l’exploitation du bleuet et la fabrication du cheddar, dont
la distribution dépasse largement les frontières québé-
coises et canadiennes.
Dès les premières décennies du XX
e
siècle se met en
place un réseau de barrages hydroélectriques (la majorité
encore en activité, d’autres construits récemment) aux
fins de production de pâte à papier et de l’électrolyse de
la bauxite en aluminium. À titre d’exemple, l’usine d’élec-
trolyse d’ALCAN (aujourd’hui Rio Tinto Alcan) d’Arvida
est l’une des plus anciennes au monde et constitue dès
lors un patrimoine industriel majeur, tout comme le vil-
lage de Val-Jalbert au Lac-Saint-Jean (Bouchard, 1986),
aujourd’hui site patrimonial de l’activité de production de
pâte à papier.
Il convient encore de rapporter la mise en place d’une
activité touristique assez intense dès la fin du XIX
e
siècle,
en particulier autour de l’activité de pêche à l’ouana-
niche dans le lac Saint-Jean, activités touristiques dont
certaines font l’objet de préoccupations de mise en
valeur. En somme, l’archéologie du Saguenay–Lac-Saint-
Jean illustre une transformation des activités où les
populations régionales/locales ont pu tirer le meilleur
parti des ressources disponibles dans le territoire tout
en jouant le rôle de réceptacle des transformations du
monde hors de la région, que cela soit à l’échelle du
Québec méridional (plaine du Saint-Laurent), du nord-
est de l’Amérique du Nord, ou à celle de mondes plus
éloignés (Europe). »
£