Des choix de l’urgence d’aujourd’hui aux conséquences possibles sur l’enseignement de demain
La situation de crise actuelle nécessite qu’on prenne plusieurs décisions rapidement. Dans l’urgence, il n’est pas évident d’avoir conscience de l’ensemble des conséquences possibles des choix effectués. Après avoir établi des mesures pour protéger la santé des gens, il est normal qu’une université mette en priorité des mesures pour poursuivre les activités d’enseignement. Les choix collectifs qui sont en cours ne sont pas banals. Surtout si la situation sanitaire qui prévaut actuellement devait se poursuivre aux trimestres d’été et d’automne. Regard sur quelques choix et leurs conséquences potentielles.
L’accès physique à l’université est impossible. Or, il faut continuer à dispenser les activités d’enseignement. On offre donc un premier outil, dit de prestation virtuelle en temps réel (synchrone) aux enseignants. On en offre un second pour stocker du contenu sur un serveur (asynchrone). Ces choix, combinés à certaines croyances sur l’enseignement, vont possiblement donner lieu à deux cas de figure principaux.
- Les enseignants vont parler de leur contenu en direct aux étudiants.
- Les enseignants vont enregistrer des vidéos et ensuite les rendre disponibles aux étudiants, qui pourront les écouter en différé.
Les deux cas de figure sont semblables, à la différence que le second procure davantage de flexibilité aux étudiants. En effet, chacun pourra écouter les enregistrements à un moment opportun pour lui, voire les réécouter.
En contrepartie, dans les deux cas, on réduit le rôle de médiation de l’enseignant. Une sorte d’effet télé risque de se produire. Or, enseigner, ce n’est pas que présenter un contenu, tel un bulletin de nouvelles. Cela implique une conversation pédagogique qui se bâtit entre l’enseignant et les étudiants, entre autres, à partir de questions, réponses, relances, etc. Le travail de médiation contribue de façon importante à l’apprentissage des étudiants. Il est crucial de le préserver, voire de l’amplifier quand on est en ligne.
La stricte présentation de contenus pose un autre enjeu important pour l’apprentissage et la réussite des étudiants quand on est en formation à distance. Des travaux, dont ceux de notre collègue Patrick Giroux, professeur au Département des sciences de l’éducation, ont démontré une diminution importante de l’attention des étudiants entre la 20e et la 40e minute de cours.
D’autres travaux ont mis en lumière qu’une formation à distance qui prévoit peu d’interactions est susceptible d’entrainer un sentiment d’isolement qui peut mener à l’abandon.
Un déploiement massif des cas de figure présentés précédemment pourrait avoir d’autres conséquences à plus long terme. Si on accepte que donner un cours, c’est essentiellement rendre disponible du contenu et que peu d’interactions sont nécessaires…
- Sera-t-on tenté d’augmenter la taille des groupes, compte tenu qu’il n’y a pas de contrainte d’espace physique associée à une salle numérique?
- Que faire des cours qui nécessitent des situations de mise en pratique?
- Pourrait-on éventuellement envisager de remplacer les enseignants par un autre type de personnel? Un tuteur qui coûterait moins cher, par exemple.
- Songera-t-on à programmer l’enseignement à un tel point que la présence d’un spécialiste serait réduite à quelques moments clés dans un trimestre?
- Est-ce cohérent avec l’image de proximité qu’on souhaite projeter de notre université?
- Qu’arrivera-t-il avec les étudiants, dont ceux en difficultés, qui ont besoin d’un soutien plus proximal?
- Les étudiants se tourneront-ils vers une université qui offre autre chose ou vers une université jugée plus prestigieuse qui offre quelque chose de semblable?
- Quelle sera la valeur ajoutée de l’UQAC lorsque tout le monde sera en ligne?
L’intention ici n’est pas d’être alarmiste, ni de prêter d’intentions à qui que ce soit, mais plutôt de faire prendre conscience que les choix qu’on effectue actuellement sont susceptibles d’avoir une incidence sur le futur et au-delà de la situation de crise actuelle.
Le choix d’un outil technologique n’est pas neutre. Tout outil est susceptible d’induire un usage. C’est ce qu’on appelle l’affordance. Par exemple, la façon dont un marteau est conçu induit davantage l’action de cognement que de balayage. Il en va de même pour tout outil technologique.
Depuis des années – et cela s’accélère actuellement en raison de la crise – on est tentés de choisir des outils technologiques avant de considérer ce que le corps enseignant souhaite en faire. En planification de système d’enseignement, c’est une erreur de base. Il est temps de rétablir la place de la pédagogie dans l’équation.
Tel que suggéré par plusieurs lors de la journée de réflexion tenue par le CPU en mai 2019, il est souhaitable qu’on fasse une place accrue aux professeurs et aux chargés de cours de tous les départements dans l’actuelle réflexion entourant la formation à distance. Nous faisons actuellement des choix pour répondre à une situation d’urgence. C’est correct et nécessaire. Mais ces choix pourraient aussi impacter notre futur. Nos étudiants. Le corps enseignant. Notre organisation. Prenons le temps d’y réfléchir. Avec les principales personnes responsables de l’enseignement dans une université.
Y a-t-il d’autres personnes qui se posent de telles questions?
Stéphane Allaire
Patrick Giroux
Nicole Monney
Ève Pouliot
Salut Stéphane,
J’ai scindé ma classe en groupe de 15 étudiants. Je limite à 1 heure la prestation virtuelle. Pour rendre le cours plus dynamique, mes deux assistants participent. De plus, j’avais déjà produit pour chaque cours un clip vidéo de 5 à 10 minutes disponible sur Moodle. Actuellement, je dois enseigné sur 2 continents simultanément. J’ai remplacé l’examen final par une entrevue individuelle de 30 minutes.
@ + Guy Simard
réflexion tres pertinente et a poursuivre
Je partage tout à fait les préoccupations de M. Allaire. Ça fait déjà 3 ans que je dispense un cours en F@D dans une autre université. Je n’avais pas le choix que de m’adapter sinon le cours aurait été dispensé par un autre chargé de cours. Bien sûr, c’est moins de contrainte physique que de dispenser un cours en pantoufles à la maison, mais à quel prix pour l’avenir de l’enseignement supérieur? Ce sont les petites universités en région qui vont disparaître les premières. L’UQAC peine à mettre en place un enseignement à distance en cette situation de crise, alors que dans cette autre université où j’enseigne, on était à pied d’oeuvre dès le 16 mars. Après les petites universités en région, ce sont les universités québécoises qui vont céder la place aux grandes institutions américaines et européennes. Même si je crois en la qualité des cours offerts à l’UQAC, qu’adviendra-t-il lorsque le « client » aura dans ses choix des programmes de Harvard, Oxford, ou Sorbonne ? Et traduit en français de surcroît! Scénario pessimiste, j’en conviens, mais malheureusement, je le crois réaliste. À la vitesse où ça va, on s’en reparlera dans 10 ans.
Désolé, j’aurais dû dire les préoccupations de M. Allaire et ses collègues
Bonjour Stéphane,
Je partage tes questionnements
oups, le message est parti tout seul.
Et je considère que l’enseignement à distance est un oxymore.
L’enseignement nécessite une proximité, une chimie cognitive et affective, impossible à reproduire dans le monde numérique.
Mais… c’est mieux que rien.
Merci! Réflexion très intéressante et effectivement à poursuivre. D’ailleurs, allez-vous faire le colloque du CPU (ou une partie) prévu en mai 2020 à distance?
Bonjour!
Merci pour cette réflexion fort pertinente! Comme chargé de cours au sein d’un autre milieu universitaire, j’ai assisté à une perte importante de clientèle avec la prolifération des cours en ligne. Notamment, plusieurs étudiants déplorent le manque d’échanges avec les enseignants (travail de médiation) et le peu de rétention du contenu de tels cours. Bref, difficile pour la pédagogie qui à mon humble avis est d’abord et avant tout relationnelle…