Alors que l’enseignement fait partie du cœur de la mission d’une université, il est étonnant de constater à quel point on badine parfois avec la taille des groupes d’étudiants. Ajouter 10 ou 20 étudiants à un groupe, pourquoi pas! Quelle différence au fond?
Pourtant, dans plusieurs autres secteurs d’activité, on retrouve le concept de ratio et celui-ci est rigoureusement utilisé. Par exemple, en enseignement primaire, on confie entre 20 et 25 élèves à un enseignant. Au secondaire, un groupe est composé habituellement de 25 à 30 élèves.
Le concept de ratio existe aussi en milieu universitaire, mais il est utilisé dans une perspective de gestion élargie. Par exemple, à l’échelle d’un département.
Pourquoi des groupes de taille raisonnable à l’université donc? La réponse courte : pour favoriser un apprentissage en profondeur et la réussite des étudiants.
Il est connu qu’au-delà d’un certain seuil, les enseignants universitaires ont tendance à s’en remettre essentiellement à un enseignement magistral et à une évaluation minimaliste. Bien que ce type de formule pédagogique ait sa place dans un cours, l’enseignement magistral ne permet pas aux étudiants de s’approprier tous les types d’apprentissage. Par exemple, on imagine mal comment on peut devenir compétent en programmation informatique en écoutant uniquement quelqu’un en parler. D’autres formules pédagogiques sont requises pour permettre un apprentissage de la programmation en profondeur. Or, plusieurs d’entre elles sont moins bien adaptées aux grands groupes.
Ainsi, lorsqu’on dit qu’« il suffit d’adapter la pédagogie au nombre d’étudiants dans un groupe », en plus d’aller à l’encontre de la liberté pédagogique des enseignants universitaires, une telle assertion est surtout susceptible d’hypothéquer des apprentissages prévus dans le cadre d’un cours.
La rétroaction en continu est un facteur important qui favorise la réussite. Les formes de rétroaction de base consistent à poser des questions aux étudiants ou à répondre aux leurs. Idéalement plusieurs fois par cours. Évidemment, plus un groupe est nombreux, moins de temps on dispose pour adapter, personnaliser une telle rétroaction.
Ainsi, lorsqu’on entend que les cours de base ou d’introduction peuvent être dispensés à 80-100 étudiants, ce n’est pas vraiment une bonne idée. Souvent, de tels cours sont suivis par les étudiants qui débutent à l’université. La transition du cégep vers l’université entraine un stress légitime. Une logique bienveillante souhaite qu’on leur consacre davantage de temps. À ce stade de leur cheminement, si en plus on réduit le temps accordé à la rétroaction, on met en place des conditions pour favoriser… l’abandon!
Parlez-en aux spécialistes en adaptation scolaire, les universités doivent de plus en plus tenir compte de la diversité des profils étudiants, notamment ceux en situation de handicap. Les enjeux ne sont pas que pédagogiques. Ils sont aussi de l’ordre du droit de la personne. Tenir compte de la diversité nécessite du temps. Cette prise en compte se planifie. On doit accompagner les étudiants individuellement. Évidemment, plus grand sera le groupe, moins de temps on disposera pour faire un travail d’adaptation de qualité.
Des groupes de grande taille, c’est globalement plus de travail pour les enseignants. Surtout quand ils ne disposent pas d’assistant de cours. Ce n’est pas que les professeurs et chargés de cours rebutent le boulot. Mais les groupes démesurés laissent moins de temps pour lire, pour se tenir au courant des dernières connaissances dans le domaine, pour élaborer de nouvelles situations d’apprentissage à soumettre aux étudiants. Et donc pour offrir une formation le plus à jour possible.
Des groupes de grande taille, ça peut être décevant pour les étudiants lorsqu’on s’est fait convaincre d’une expérience de proximité par un arsenal marketing. Qu’on le veuille ou non, le financement universitaire québécois induit une logique de compétition. Peu importe ce qu’on en pense, on doit composer avec une telle situation. Or, quand on est en région, les groupes de plus petite taille représentent un rare atout sur l’échiquier de la formation postsecondaire.
On entend parfois que les groupes de taille plus importante contribuent à une saine gestion des deniers publics. Oublie-t-on que la formation est au coeur de la mission d’une université et qu’on devrait chercher à la chérir le plus possible? C’est un peu comme si une personne qui souhaite améliorer son alimentation décidait de couper les fruits et légumes… pour investir dans une meilleure alimentation. Un tel illogisme n’a pas besoin de plus ample explication.
Il y a d’autres motifs qui justifient l’importance des groupes de taille raisonnable à l’université. Pour les étudiants. Pour les enseignants. Pour les universités. Vous êtes bienvenus de compléter…
Au fait, une taille raisonnable, ça équivaut à combien d’étudiants par groupe tout au plus au baccalauréat?
La recherche en enseignement universitaire tend à indiquer 50 étudiants. Vers 60, on approche un point de rupture.
Peu importe la discipline de formation. Peu importe le cours.
Il n’y a pas de disciplines plus ou moins nobles aux yeux des sciences de l’apprentissage.
Il y a quelques écrits plus ambitieux. Partant d’eux, on déduit qu’une université qui souhaiterait offrir une expérience étudiante particulièrement distinctive tendrait, à moyen terme, vers un maximum de 40 étudiants par groupe au baccalauréat. Tout en offrant un soutien pédagogique conséquent aux professeurs et aux chargés de cours.
L’enseignement est au cœur de la mission d’une université. Se concentrer sur la taille des groupes, sur la façon dont on y intervient et sur la façon dont on peut soutenir le personnel enseignant, là réside un véritable enjeu académique, voire une réelle vision de développement universitaire.
Dernier aspect: la valorisation de l’enseignement. On en parle beaucoup au primaire et au secondaire. Mais qu’en est-il à l’université? Qui plus est, dans une société qu’on qualifie de société du savoir. Il n’y a que l’éducation pour accepter de jongler à l’aveuglette avec le nombre de personnes par groupe. Si on faisait l’équivalent en santé, il y aurait toute une levée de boucliers et on crierait au scandale. Pensons-y…
Un groupe de plus de 50 étudiants, c’est un groupe de trop!
Stéphane Allaire, Ph.D.
Professeur
Département des sciences de l’éducation