15 septembre 2023.
L’adoption du projet de loi 23 dans sa forme actuelle modifierait le fonctionnement du réseau d’éducation en profondeur.
A priori, on peut avoir l’impression que le changement de structure est loin de la réalité de la classe et qu’il s’agit d’une guerre de clochers entre universitaires. Pourtant, il en est autrement. En effet, il y a de bonnes raisons de penser que les tentacules de ce projet de loi se rendront jusqu’à votre classe. Voici comment et pourquoi vous devriez vous sentir concernés.
Un projet de loi qui amènerait une concentration de pouvoirs sans précédent entre les mains du ministre
Le ministre serait responsable de la nomination des directions générales des centres de services scolaires (CSS). Ces dernières osent déjà peu prendre la parole publiquement alors qu’elles sont actuellement nommées par le conseil d’administration des CSS. Elles ne le feraient certainement pas davantage sachant qu’elles pourraient aussi être congédiées par le ministre.
Un contrat de performance serait signé entre le ministre et les CSS, incluant des exigences précises sur le taux de réussite des élèves. En tant qu’intervenant de première ligne auprès d’eux, cette exigence vous mettrait une pression accrue sur les épaules, sans garantir davantage de ressources pour vous appuyer. En ce sens, le projet de loi minimise beaucoup les autres facteurs qui influencent la réussite des élèves (situation familiale des élèves, conditions de travail, nombre d’élèves par classe, composition de la classe, etc).
Le ministre aurait accès à un tableau de bord des résultats, qu’il pourrait consulter presque en temps réel pour suivre l’avancement du contrat de performance. Tel que mentionné en assemblée parlementaire, il pourrait par exemple interpeller les écoles dont les résultats diminuent en cours d’année scolaire. Un tel contexte accroîtrait la pression à évaluer constamment et à fournir des notes. Pourrait-on alors espérer un retour à deux bulletins par année? On peut en douter.
En cas de non-atteinte du contrat de performance, le ministre pourrait intervenir dans les décisions des écoles, voire les renverser et exiger l’usage d’approches pédagogiques spécifiques.
Le ministre serait conseillé par un nouvel Institut national d’excellence en éducation (INEE)
L’Institut relèverait directement du ministre. Entre autres choses, cette nouvelle structure aurait pour mandat de recommander les meilleures pratiques d’enseignement. Si les résultats de vos élèves ne satisfont pas le ministre, il serait possible qu’on vous demande de changer vos façons de faire. Le ministre déterminerait et cautionnerait le contenu des activités de formation continue obligatoires ancrées dans les orientations pédagogiques spécifiques circonscrites par l’INEE. Le texte du projet de loi ne précise pas combien d’heures il pourrait vous imposer sur les 30 que vous pouvez actuellement gérer comme bon vous semble. Puisque les directions auraient un fort lien de dépendance avec le ministre, cela exercerait une pression supplémentaire sur tout le monde.
Aux enseignants qui considèrent et attribuent de la valeur à la recherche en collaboration, sachez qu’aux yeux de l’INEE, ce type de recherche aurait probablement peu d’importance. Les pratiques recommandées proviendraient plutôt de recherches qui prennent peu en considération vos savoirs d’expérience, votre point de vue sur l’environnement scolaire ainsi que les objets que vous aimeriez aborder s’ils s’écartent des cibles du ministre.
En résumé
La centralisation exagérée des pouvoirs entre les mains du ministre donnerait lieu à un système de contrôle en cascade.
Les DG des CSS auraient les mains liées par les prescriptions du ministre, sous peine de congédiement.
La responsabilité de la mise en oeuvre de ces prescriptions se retrouverait entre les mains des directions d’établissement.
Puisque les indicateurs de réussite proviendraient essentiellement des résultats de vos élèves, une pression accrue, directe ou indirecte, se répercuterait sur vous. Les conseillers pédagogiques avec qui vous travaillez se verraient imposer des cibles et des méthodes pour orienter leur accompagnement auprès de vous.
Quel avenir pour notre réseau d’éducation?
Dans l’éventualité où le projet de loi serait adopté dans sa version actuelle, ne risquez-vous pas de vous en remettre strictement à ce qu’on vous demandera de faire, de peur de vous faire taper sur les doigts? Une standardisation de l’enseignement n’est-elle pas à craindre alors qu’une pluralité d’approches pédagogiques est pourtant reconnue et nécessaire? Quelles conséquences sont à prévoir sur les contenus qui seront enseignés, les compétences à développer? Sur la façon dont l’évaluation sera effectuée? Qu’en sera-t-il de votre autonomie professionnelle dans un tel système de contrôle excessif? De la place à la créativité et à l’innovation, quand des méthodes imposées ne répondent pas aux besoins? Qu’adviendra-t-il de l’expérience d’apprentissage et de l’unicité de vos élèves dans tout cela?
Plutôt que valoriser le talent, l’esprit d’initiative et le jugement professionnel des personnels scolaires, ce projet de loi mettrait en place un système de surveillance à grande échelle. Est-ce vraiment ce dont le réseau d’éducation a besoin actuellement?
Il est encore temps d’agir pour infléchir les orientations de ce projet de loi.
Stéphane Allaire, Université du Québec à Chicoutimi
Simon Viviers, Université Laval
Patrick Giroux, Université du Québec à Chicoutimi
Mylène Leroux, Université du Québec en Outaouais
Mélanie Tremblay, Université du Québec à Rimouski
Pauline Sirois, Université Laval
Hélène Makdissi, Université Laval