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Dévalorisation des enseignants

Pourquoi ne pas implanter un programme d’insertion professionnelle à large échelle sous la forme d’un stage-emploi, dans le cadre duquel un étudiant finissant réaliserait sa formation pratique en étant pleinement rémunéré ? Ce serait un tremplin fertile entre l’université et le marché du travail. Pourquoi est-ce possible dans d’autres professions mais pas en enseignement ?

Texte paru le 26 septembre 2020 dans Le Devoir.
Par Stéphane Allaire

Plan de continuation des activités académiques

Dans le contexte de crise sanitaire de la COVID-19, où les établissements d’enseignement ne sont pas accessibles physiquement, mon université demande aux professeurs et aux chargés de cours d’élaborer un plan de continuation des activités académiques. À peu près toutes les possibilités sont envisageables. On a ainsi voulu respecter les particularités de chaque programme et cours, en plus de respecter la liberté académique du corps enseignant.

Je partage ici un plan qui répond aux impératifs de la situation exceptionnelle actuelle. Il me semble pouvoir être appliqué dans plusieurs cours.

Je mentionne néanmoins que ma proposition de devis est peu adaptée aux stages, aux cours nécessitant plusieurs laboratoires ainsi qu’aux activités d’enseignement dont la planification est grandement influencée par les exigences d’un ordre professionnel.

Je tiens pour acquis qu’à ce stade du trimestre, des évaluations des apprentissages des étudiants ont déjà été faites.

Avant  d’envisager un déroulement et de choisir des outils, formules ou méthodes, il est important d’identifier les savoirs qui auraient fait l’objet d’enseignement et d’apprentissage d’ici la fin du trimestre. Tout professeur et chargé de cours a sûrement déjà cela en main.

Il importe aussi d’identifier les caractéristiques de la situation exceptionnelle qui prévaut actuellement. Il est souhaitable d’en tenir compte dans l’élaboration du plan.

Caractéristiques de la situation

  • Impossibilité d’enseigner en présence physique. L’usage du numérique devient pratiquement incontournable.
  • La situation de crise est susceptible d’entrainer du stress, autant chez les étudiants que chez le corps enseignant, ce qui peut les rendre moins disposés à l’apprentissage et au travail. Un ajustement des attentes semble donc raisonnable et humain. Pour le corps enseignant, il est peu réaliste de se lancer dans la production de nouvelles ressources numériques d’envergure dans les circonstances.
  • Le confinement obligé pose un enjeu de gestion du temps important, compte tenu de la réalité de conciliation travail/études-famille particulièrement exigeante. Celle-ci s’applique autant aux étudiants qu’au corps enseignant. L’adoption de modalités  flexibles est à privilégier.
  • Bien que la priorité soit à la santé et à la dynamique familiale, on souhaite assurer une forme de continuation des activités académiques. La relation enseignant-étudiants y étant au coeur, il est souhaitable de préserver des moments d’interactions en temps réel  entre eux.
  • La situation pouvant varier d’un étudiant à l’autre dans un même cours, et l’enseignant n’ayant pas nécessairement le temps de s’adapter à tous, l’adoption de modalités simples, qui misent sur le choix individuel, est souhaitable.

Éléments du plan de continuation

  • Évaluer les étudiants à partir des données disponibles en date du 13 mars 2020. Cette évaluation (Succès ou Échec) fera office de résultat pour le cours.
  • Pour chaque semaine du trimestre restante, identifier les éléments essentiels qui auraient été abordés en temps normal.
  • Leur associer quelques ressources existantes (textes de référence, exercices, vidéos, etc.) et déposer le tout, idéalement au même moment, sur Moodle. Cette tâche devrait être économique en temps pour l’enseignant. La mise en ligne asynchrone des ressources permettra aux étudiants de les consulter quand ils le pourront, incluant après la fin officielle du trimestre.
  • Offrir aux étudiants quelques plages d’une heure par semaine,  jusqu’à la fin du trimestre, pour discuter en visioconférence des ressources mises à leur disposition et valider leur compréhension (sans procéder à une évaluation en bonne et due forme). Ce faisant, on préservera le rôle de médiation important de l’enseignant. Des plages de temps réduites sont plus faciles à intégrer à l’horaire de conciliation travail-famille. Elles offrent aussi de la flexibilité aux étudiants.

Ce plan n’équivaut pas à ce qui aurait été fait en temps normal avec les étudiants. Toutefois, il devrait satisfaire une grande majorité de personnes. D’abord, les étudiants qui auraient voulu que le trimestre se termine pourront choisir de mettre un terme à leurs apprentissages. Ensuite, ceux qui souhaitent les poursuivre pourront le faire avec flexibilité, tout en continuant d’avoir accès à leur enseignant. Même s’il n’y a pas d’évaluation formelle associée à l’appropriation des ressources, on préserve tout de même un contexte d’apprentissage. Enfin, pour l’enseignant, la somme de travail est modeste, ce qui ne devrait pas trop interférer avec l’enjeu de conciliation travail-famille.

MISE À JOUR 1

On pourrait accompagner chaque ressource numérique (texte, vidéo, etc.) proposée aux étudiants d’une intention de lecture ou d’écoute. Une telle intention aidera les étudiants à concentrer leur attention sur des éléments importants de la ressource. Par exemple, si on suggère de lire un texte qui présente des modèles d’intervention, on pourrait inciter les étudiants à porter une attention particulière aux différences entre les modèles.

L’importance des groupes de taille raisonnable à l’université

Alors que l’enseignement fait partie du cœur de la mission d’une université, il est étonnant de constater à quel point on badine parfois avec la taille des groupes d’étudiants. Ajouter 10 ou 20 étudiants à un groupe, pourquoi pas! Quelle différence au fond?

Pourtant, dans plusieurs autres secteurs d’activité, on retrouve le concept de ratio et celui-ci est rigoureusement utilisé. Par exemple, en enseignement primaire, on confie entre 20 et 25 élèves à un enseignant. Au secondaire, un groupe est composé habituellement de 25 à 30 élèves.

Le concept de ratio existe aussi en milieu universitaire, mais il est utilisé dans une perspective de gestion élargie. Par exemple, à l’échelle d’un département.

Pourquoi des groupes de taille raisonnable à l’université donc? La réponse courte : pour favoriser un apprentissage en profondeur et la réussite des étudiants.

Il est connu qu’au-delà d’un certain seuil, les enseignants universitaires ont tendance à s’en remettre essentiellement à un enseignement magistral et à une évaluation minimaliste. Bien que ce type de formule pédagogique ait sa place dans un cours, l’enseignement magistral ne permet pas aux étudiants de s’approprier tous les types d’apprentissage. Par exemple, on imagine mal comment on peut devenir compétent en programmation informatique en écoutant uniquement quelqu’un en parler. D’autres formules pédagogiques sont requises pour permettre un apprentissage de la programmation en profondeur. Or, plusieurs d’entre elles sont moins bien adaptées aux grands groupes.

Ainsi, lorsqu’on dit qu’« il suffit d’adapter la pédagogie au nombre d’étudiants dans un groupe », en plus d’aller à l’encontre de la liberté pédagogique des enseignants universitaires,  une telle assertion est surtout susceptible d’hypothéquer des apprentissages prévus dans le cadre d’un cours.

La rétroaction en continu est un facteur important qui favorise la réussite. Les formes de rétroaction de base consistent à poser des questions aux étudiants ou à répondre aux leurs. Idéalement plusieurs fois par cours. Évidemment, plus un groupe est nombreux, moins de temps on dispose pour adapter, personnaliser une telle rétroaction.

Ainsi, lorsqu’on entend que les cours de base ou d’introduction peuvent être dispensés à 80-100 étudiants, ce n’est pas vraiment une bonne idée. Souvent, de tels cours sont suivis par les étudiants qui débutent à l’université. La transition du cégep vers l’université entraine un stress légitime. Une logique bienveillante souhaite qu’on leur consacre davantage de temps. À ce stade de leur cheminement, si en plus on réduit le temps accordé à la rétroaction, on met en place des conditions pour favoriser… l’abandon!

Parlez-en aux spécialistes en adaptation scolaire, les universités doivent de plus en plus tenir compte de la diversité des profils étudiants, notamment ceux en situation de handicap. Les enjeux ne sont pas que pédagogiques. Ils sont aussi de l’ordre du droit de la personne. Tenir compte de la diversité nécessite du temps. Cette prise en compte se planifie. On doit accompagner les étudiants individuellement. Évidemment, plus grand sera le groupe, moins de temps on disposera pour faire un travail d’adaptation de qualité.

Des groupes de grande taille, c’est globalement plus de travail pour les enseignants. Surtout quand ils ne disposent pas d’assistant de cours. Ce n’est pas que les professeurs et chargés de cours rebutent le boulot. Mais les groupes démesurés laissent moins de temps pour lire, pour se tenir au courant des dernières connaissances dans le domaine, pour élaborer de nouvelles situations d’apprentissage à soumettre aux étudiants. Et donc pour offrir une formation le plus à jour possible.

Des groupes de grande taille, ça peut être décevant pour les étudiants lorsqu’on s’est fait convaincre d’une expérience de proximité par un arsenal marketing. Qu’on le veuille ou non, le financement universitaire québécois induit une logique de compétition. Peu importe ce qu’on en pense, on doit composer avec une telle situation. Or, quand on est en région, les groupes de plus petite taille représentent un rare atout sur l’échiquier de la formation postsecondaire.

On entend parfois que les groupes de taille plus importante contribuent à une saine gestion des deniers publics. Oublie-t-on que la formation est au coeur de la mission d’une université et qu’on devrait chercher à la chérir le plus possible? C’est un peu comme si une personne qui souhaite améliorer son alimentation décidait de couper les fruits et légumes… pour investir dans une meilleure alimentation. Un tel illogisme n’a pas besoin de plus ample explication.

Il y a d’autres motifs qui justifient l’importance des groupes de taille raisonnable à l’université. Pour les étudiants. Pour les enseignants. Pour les universités. Vous êtes bienvenus de compléter…

Au fait, une taille raisonnable, ça équivaut à combien d’étudiants par groupe tout au plus au baccalauréat?

La recherche en enseignement universitaire tend à indiquer 50 étudiants. Vers 60, on approche un point de rupture.

Peu importe la discipline de formation. Peu importe le cours.
Il n’y a pas de disciplines plus ou moins nobles aux yeux des sciences de l’apprentissage.

Il y a quelques écrits plus ambitieux. Partant d’eux, on déduit qu’une université qui souhaiterait offrir une expérience étudiante particulièrement distinctive tendrait, à moyen terme, vers un maximum de 40 étudiants par groupe au baccalauréat. Tout en offrant un soutien pédagogique conséquent aux professeurs et aux chargés de cours.

L’enseignement est au cœur de la mission d’une université. Se concentrer sur la taille des groupes, sur la façon dont on y intervient et sur la façon dont on peut soutenir le personnel enseignant, là réside un véritable enjeu académique, voire une réelle vision de développement universitaire.

Dernier aspect: la valorisation de l’enseignement. On en parle beaucoup au primaire et au secondaire. Mais qu’en est-il à l’université? Qui plus est, dans une société qu’on qualifie de société du savoir.  Il n’y a que l’éducation pour accepter de jongler à l’aveuglette avec le nombre de personnes par groupe. Si on faisait l’équivalent en santé, il y aurait toute une levée de boucliers et on crierait au scandale. Pensons-y…

Un groupe de plus de 50 étudiants, c’est un groupe de trop!

Stéphane Allaire, Ph.D.
Professeur
Département des sciences de l’éducation