Laboratoire de phonétique expérimentale

« Un véritable savant, qui travaille dans son laboratoire, n’écrit point science avec un grand S. » — Charles Péguy

Le laboratoire de phonétique expérimentale offre un lieu convivial de recherche aux étudiants prenant part aux cours de phonétique ou ayant choisi de poursuivre une maîtrise en phonétique expérimentale ayant qu’aux chercheurs associés aux différents projets de recherche.

Le laboratoire de phonétique offre une infrastructure moderne permettant aux étudiants et aux chercheurs de collecter des données, de développer des protocoles expérimentaux et de manipuler différents outils dédiés à l’acoustique de la parole et la bioacoustique.

Le laboratoire de phonétique est notamment doté de :

  • trois stations de travail PC (bi-écrans) destinées au traitement acoustique des données sonores (cartes sonores externes Edirol FA-66 ou Roland Quad-Capture) ;
  • différents logiciels d’analyse acoustique (Praat, GoldWave…), de synthèse de parole, de passation de tests de perception et de traitements statistiques (R stats, SAS, Systat) ;
  • différents enregistreurs numériques (Tascam HD-PD2, ZOOM H2…) et une vaste gamme de microphones (micros-cravates, micros de tête et de table).

Le Département des arts et lettres dispose également d’une chambre anéchoïque. Cette cabine de son acoustiquement isolée répond à de bonnes exigences en ce qui a trait à la qualité sonore des enregistrements. Cette ressource est accessible sur simple réservation.


Orientations de recherche

Attitudes face à la variation

Dans le cadre de l’équipe DENDY du laboratoire CNRS Dynamique du langage de Lyon, ce projet mené en collaboration avec Anna Ghimenton, maitre de conférences à l’Université Lyon 2, a pour objectif de mieux saisir le développement, chez les enfants, des attitudes à l’égard de la variation .

Les préférences d’une large cohorte d’enfants français âgés de 5 à 12 ans concernant différentes variables linguistiques sont actuellement analysées en tenant compte de l’âge, du sexe et du statut (monolingue/bilingue). Le paradigme expérimental utilisé (matched guise) vise à tester si leurs préférences s’orientent vers les variantes standards ou plus socialement marquées.

Analyse de la dynamique acoustique
des voyelles

Cette orientation de recherche vise à éprouver la pertinence d’un paradigme d’analyse acoustique des voyelles où ces dernières ne sont plus réduites à des configurations acoustiques statiques, mais sont envisagées comme des patrons évoluant au cours du temps. Ce positionnement théorique permet d’offrir des descriptions alternatives des faits de variation affectant le système vocalique du français québécois. Les caractéristiques acoustiques des voyelles les plus étudiées sont la fréquence centrale des deux premiers formants. Les premières descriptions acoustiques des voyelles (Joos, 1948; Delattre, 1948) ont propagé l’interprétation selon laquelle une augmentation de la fréquence de F1 est corollaire à une augmentation du degré d’aperture et qu’une augmentation de la fréquence de F2 est corollaire à une antériorisation dudit segment.

Delattre et al. (1952) ont aussi contribué à diffuser ce paradigme d’analyse en montrant qu’il était possible de synthétiser, à partir des valeurs de leurs deux premiers formants, 16 voyelles orales pouvant être transcrites à l’aide d’un symbole de l’alphabet phonétique international et identifiables comme telles par des étudiants en phonétique lors d’un test d’identification (il s’agissait de locuteurs anglophones étudiant le français). Cette relation entre indices acoustiques et paramètres articulatoires a popularisé une représentation du système vocalique d’une langue ou de variantes de prononciation au sein d’un simple espace acoustique bidimensionnel F1×F2.  C’est ainsi qu’une vaste majorité des études consacrées à l’analyse acoustique des voyelles ont adopté un paradigme d’analyse et de représentation fondé sur la prise en compte d’une seule estimation de la fréquence centrale des deux premiers formants. Cependant, si l’élégante correspondance entre la représentation des voyelles par leurs deux premiers formants et le quadrilatère stylisé proposé par l’alphabet phonétique international est d’intérêt pédagogique majeur, elle reste acoustiquement imprécise. En effet, cette représentation partielle de la structure acoustique des voyelles néglige l’effet décisif que la durée, la f0, les formants supérieurs à F2 et leur dynamique temporelle respective peuvent avoir sur le timbre des voyelles.

Delattre, Pierre. 1948. Un triangle acoustique des voyelles orales du français. The French Review 21(6). 477–484.
Delattre, Pierre, Alvin M. Liberman, Franklin S. Cooper & Louis J. Gerstman. 1952. An experimental study of the acoustic determinants of vowel color; observations on one- and two-formant vowels synthesized from spectrographic patterns. Word 8(3). 195–210.
Joos, Martin. 1948. Acoustic Phonetics. Language 24(2). 1–136.

Bioacoustique : paruline et bonobo

De 2010 à 2012, un premier projet pilote s’intéressait au chant d’une espèce d’oiseau chanteur peu commune au Québec : la Paruline à gorge grise (Oporornis agilis). Ce projet, mené sous la responsabilité de Jacques Ibarzabal (département des sciences fondamentales, UQAC) avait pour objectif final de développer un outil de conservation non invasif permettant d’identifier les individus de cette espèce au moyen de leur chant. Il a principalement permis d’évaluer les algorithmes d’extraction de la fréquence fondamentale utilisés dans le logiciel d’analyse acoustique Praat dans le cadre d’études en bioacoustique et de financer le mémoire de maitrise de Stéphanie Bergeron consacrée à la variation intra-individuelle du chant de cet oiseau.

Depuis 2016, un projet consacré à  la  description  de  la  communication  vocale  chez  le  bonobo  (Pan  paniscus) est en cours. Ce projet réalisé en collaboration avec François Pellegrino du laboratoire CNRS Dynamique du langage de Lyon, Christophe Coupé de Hong Kong University, Florence Levréro et Nicolas Mathevon de l’ENES à Saint-Étienne propose  une approche pluridisciplinaire mêlant éthologie, phonétique acoustique et apprentissage-machine. Les objectifs sont d’obtenir  une  meilleure caractérisation  acoustique  des  cris  des  bonobos et une compréhension  plus  poussée  du système de communication dans son ensemble (analyse des séquences de cris, de leur flexibilité fonctionnelle et de leur complexité).

Le répertoire vocal du bonobo a été, à la fois, étudié chez des individus en captivité et à l’état sauvage (de Waal,  1988 ; Bermejo et Omedes, 1999). Il comprend une quinzaine de types de cris parmi lesquels les peep-yelps, les barks, les whistles  ou  les peeps,  ces  derniers  étant  les  plus  fréquents. Le répertoire de cette espèce est donc bien établi, mais il se révèle complexe. Ainsi, les cris peuvent s’organiser sous forme de séquences qui ont chacune leur structure et leur durée propres. De plus, les cris des bonobos ne sont pas tous stéréotypés. La structure des cris peut changer subtilement entre chaque production, selon l’identité du bonobo, le contexte (épouillage,  nourrissage, comportement  antagoniste…), et la position du cri dans la séquence.

Nous avons, en premier lieu, cherché à savoir s’il était possible, en utilisant différents algorithmes de classification (comme xgboost, svm ou réseaux de neurones), de parvenir à classer automatiquement les cris émis dans les différentes catégories de cris. Nous montrons également, qu’en utilisant ces différents algorithmes d’apprentissage automatique, il est aussi possible de repérer une signature individuelle dans les cris émis. Nous ouvrons également la voie à l’étude des cris en séquence et non plus seulement en analysant chaque cri de façon isolée. Qui plus est, les méthodes d’analyse utilisées pourraient être généralisées à d’autres systèmes de communication animale.

Les enregistrements sonores de bonobos sont malheureusement peu nombreux. Cet animal est difficile à enregistrer en liberté, car les individus sont difficilement identifiables. Même en captivité, les enregistrements sont souvent perturbés par les bruits ambiants, et déséquilibrés selon les individus et les types de cris enregistrés.

Bermejo, M. & A. Omedes. 1999. Preliminary vocal repertoire and vocal communication of wild bonobos (Pan paniscus) at Lilungu (Democratic Republic of Congo). Folia Primatologica: International Journal of Primatology 70(6). 328–357.
de Waal, F. B. M. 1988. The communicative repertoire of captive bonobos (Pan paniscus), compared to that of chimpanzees. Behaviour 106(3). 183–251.

Professeur en phonétique – UQAC