Gestion privée et publique de nos ressources naturelles
Perspective historique
Mémoire présenté devant les membres de la Commission scientifique et technique sur la gestion des barrages (région Saguenay-Lac-Saint-Jean)
Jonquière 9 octobre 1996 ©
Table des matières
Présentation
1.0 Survol historique Introduction
1.1 Le Domaine du Roi»
1.2 Gestion de la forêt
1.3 Gestion de l'eau (digues et barrages) 1900-1960
1.3.1 Phase pionnière (1900-1925)
1.3.2 Harnachement du Saguenay (1925-1940)
1.3.3 Consolidation des réseaux
Alcan-Price (1940-1960)
1.4 Nationalisation des années
1960
2.0 - Quelques questions en marge d'un déluge
3.0 - Recommandations
ANNEXE Le réseau hydroélectrique du SaguenayLac-Saint-Jean
Mesdames,
Messieurs,
Membres de la Commission scientifique et technique sur la gestion des barrages,
Nous tenons à vous remercier de l'occasion que vous nous donnez de
présenter notre point de vue devant vous.
Nous voulons d'abord souligner que c'est à titre personnel que nous
nous présentons. Cependant, c'est avec la formation d'historien que
nous abordons la question. Notre propos portera principalement sur le mode
de gestion des ressources naturelles sur un plan historique, et sur les
conséquences que ce mode de gestion a pu avoir sur les incidents
qui sont survenus au mois de juillet dernier. Le déluge lui-même
et ses conséquences immédiates sur les populations ne sont
pas traités ici, plusieurs intervenants ayant déjà
réagi sur le sujet.
Dans un premier temps nous ferons un survol de l'histoire de la région
qui illustre bien que dans le mode de gestion des ressources naturelles
(fourrures, forêt, eau), l'État s'est toujours associé
à l'entreprise privée. Sous ce rapport, il semble que l'État
en est venu à délaisser ses responsabilités envers
les populations, ne se préoccupant que fort peu du renouvellement
des ressources et oubliant, comme nous le rappellent fort bien les inondations
de juillet dernier, ses responsabilités concernant la sécurité
des populations.
Dans une deuxième partie, nous soulèverons quelques questions
en rapport avec le déluge de juillet, ce qui montre encore avec plus
d'acuité le sort fait aux populations en matière de sécurité.
Enfin, nous ferons quelques recommandations.
Introduction
On pourrait dire que toute l'histoire du SaguenayLac-Saint-Jean
s'explique par la mise en valeur des ressources naturelles. Dès le
début du XVIIe siècle, l'histoire de la région se caractérise
par des étapes de développement où l'État s'associe
à des entreprises privées pour mettre en valeur au moindre
coût les ressources naturelles publiques. Ce mode de gestion a permis
de développer la région certes, mais le rôle du gouvernement
se situe en retrait, laissant les populations à elles-mêmes
alors que l'exploitation des ressources est entre les mains des grandes
entreprises.
Le cas du SaguenayLac-Saint-Jean: l'histoire d'une gestion des ressources
naturelles
1.1 Le "Domaine du Roi"
Des recherches récentes sur l'histoire du SaguenayLac-Saint-Jean
viennent jeter un nouvel éclairage sur le rôle qu'ont joué
les États et les entreprises privées dans la manière
de gérer des espaces périphériques québécois
. En créant un premier monopole des fourrures au Saguenay en 1652,
la France délimite un Domaine réservé à l'avantage
du Roi et dont l'activité principale sera limitée à
l'exploitation des fourrures. Pour donner suite à cette politique,
la France bâtit un système de postes semblables à ceux
établis par la Compagnie de la Baie d'Hudson. Comme gestionnaire
en droit du territoire, l'État reste un associé opportuniste
des marchands ou des locataires auxquels il vend un monopole dans le Domaine
du Roi au Saguenay. Avec Tadoussac et Chicoutimi qui deviennent les pivots
de l'organisation du commerce local, les locataires du droit d'exploitation
des ressources s'appuient sur les pourvoyeurs montagnais (Ilnu) et non pas
sur les coureurs de bois pour approvisionner leurs postes . Jusqu'en 1842,
le Saguenay continue d'être un territoire réservé au
commerce des fourrures. Pour protéger ce monopole saguenayen, l'État
empêche tout peuplement.
1.2 Gestion de la forêt
Au milieu du XIXe siècle, le Québec, comme d'autres provinces
d'ailleurs, a pu renforcer son développement socio-économique
en s'appuyant sur les ressources naturelles de son arrière-pays.
Par sa stratégie, notre province a pu consolider le développement
de régions déjà peuplées, pensons au Bas-Saint-Laurent,
à la Gaspésie, à La Mauricie ou à l'Outaouais.
Le seconde approche a consisté à ouvrir davantage les territoires
plus nordiques à la colonisation. Le SaguenayLac-Saint-Jean,
la Côte-Nord, l'Abitibi ou Chibougamau-Chapais sont de ceux-là.
La stratégie québécoise s'inscrit donc dans une volonté
d'améliorer la position économique et politique de la province,
soit dans la Confédération, soit comme lieu d'affirmation
de la nation canadienne-française, tout en évitant que les
masses émigrent aux États-Unis.
À compter des années 1840, les gouvernements du Canada-Uni
en viennent à gérer le territoire autour de la mise en valeur
de diverses ressources naturelles publiques. Ainsi se définissent
des aires de peuplement, des zones de gestions des ressources naturelles
qui se structurent autour des forêts publiques qui sont accordées
sous forme de concessions forestières, de territoires de chasse ou
de pêche, de zones minières, etc. Même les lacs, les
rivières et les chutes d'eau deviennent des ressources gérées
aux fins d'une exploitation surtout forestière (navigation, flottage
du bois, aménagement de petite barrages et d'estacades) .
À la suite du partage des pouvoirs qui se précise dans la
Confédération de 1867, les provinces précisent leurs
prérogatives sur les ressources naturelles principalement dans l'article
92 a (ressources naturelles, ressources forestières et énergie
électrique).
Au Saguenay, la coupe forestière viendra remplacer la chasse, comme
principale activité économique à partir des années
1842, alors que le gouvernement, pour répondre aux pressions des
marchands et de la population, ouvre la porte à la colonisation.
Il faut cependant préciser que pour donner suite à ces pressions,
le gouvernement laissera entrer un premier groupe de colons dès 1838
(l'association des Vingt-et-Un). Ces agents inavoués du marchand
de bois William Price, amorcent l'occupation du territoire par la coupe
des vastes pinières.
Si la compagnie Price parvient, pendant le XIXe siècle, à
créer et à maintenir son monopole sur la forêt régionale,
c'est en s'appuyant sur un régime de concessions forestières
qui laisse beaucoup, sinon toute la place à l'entreprise privée.
Après avoir dévasté les forêts de pin au cours
des trente premières années de coupe (1838-1870), les fils
Price se tournent vers des essences moins recherchées, en l'occurrence
le sapin et l'épinette.
Toutefois, avec le virage technologique qui s'amorce à la fin du
siècle, alors que l'industrie canadienne se tourne vers la transformation
du bois en pâte et papier, le sapin et l'épinette qui poussent
en climat nordique deviennent de plus en plus recherchés. Un francophone,
J.-E.-A. Dubuc, prendra l'initiative dès 1896, en jetant les bases
de la Compagnie de Pulpe de Chicoutimi. Il acquiert, lui aussi, des concessions
forestières et des droits touchant la mise en valeur de cours d'eau,
pour s'assurer que ses usines s'approvisionnent en matière ligneuse.
Price ne sera pas en reste, puisqu'il achète une petite usine à
Jonquière dès 1901. Il réorganise la compagnie familiale
en 1904 et élargit son accès au capital. En 1909, il ouvre
une première usine de papier dans la nouvelle ville-usine, Kénogami.
La concurrence entre Dubuc et Price sera féroce. Price se montre
le plus fort. Son territoire de coupe reste beaucoup plus vaste, sa capacité
de trouver des fonds pour financer ses activités est plus agressive.
Enfin, ses efforts pour diversifier sa production et ses marchés
lui permettront de mieux résister aux impératifs de l'après-guerre
.
1.3 Gestion de l'eau (digues et barrages)
1900-1960
La venue de l'industrie des pâtes et papiers en région s'explique
parce que la forêt et l'eau, ressources publiques, sont facilement
accessibles. L'arrivée du chemin de fer au lac Saint-Jean (1888)
et au Saguenay (1893) assurait un meilleur accès aux marchés
ce qui a favorisé les investissements dans la région au tournant
du siècle. Trois étapes caractériseront l'aménagement
d'usines hydroélectriques et de barrages dans la région au
cours des années 1900-1960.
1.3.1 Phase pionnière (1900-1925)
Dans la phase pionnière qui va de 1900 à 1925, de petits barrages
hydroélectriques sont construits principalement sur les rivières
Chicoutimi et Shipshaw, deux affluents du Saguenay, ainsi que sur des rivières
se jetant dans le lac Saint-Jean. Le lac Kénogami apparaît
comme le premier réservoir d'importance aménagé, pour
assurer, l'année durant, un approvisionnement en eau dans les rivières
Chicoutimi et aux Sables, où se construisent les premières
usines, et cela dès 1900. Les plus grosses usines d'électricité
appartiennent alors aux industriels, tandis que les autres, plus petites,
sont opérées par les municipalités qui cherchent à
intervenir dans l'électrification des communautés qu'elles
desservent. Parmi celles qui opèrent leur réseau entre 1900
et 1929, se retrouvent Jonquière, Bagotville, Sainte-Anne (Chicoutimi-Nord),
Roberval, Saint-Félicien, Hébertville, La Doré, Lac-Bouchette
et Saint-Jérôme .
Price, Dubuc, ainsi que certaines municipalités sont les principaux
intervenants lors de cette première phase.
1.3.2 Harnachement du Saguenay (1925-1940)
Dans la deuxième phase qui va de 1925 à 1940, s'amorce le
harnachement du Saguenay autour de vastes projets d'Alcan, en particulier
ceux d'Isle-Maligne (402 000 kW), de Chute-à-Caron (224 000 kW) et
de Shipshaw, le plus important (896 000 kW). Le lac Saint-Jean devient un
vaste réservoir. L'industrie de l'aluminium est à l'origine
de ces projets qui exigent une technique à la fine pointe et des
capitaux considérables. Les gouvernements ont permis alors aux compagnies
d'investir les sommes qu'impliquaient de tels aménagements. On pourrait
parler d'une stratégie qui, pour le gouvernement, assure un rendement
certain pour un investissement minimum. Les gouvernements augmentaient ainsi
leurs redevances sur les droits d'utiliser les ressources publiques, alors
que les compagnies investissaient pour la construction des barrages et des
usines, ce qui créait de l'emploi.
1.3.3 Consolidation des réseaux
Alcan-Price (1940-1960)
La dernière étape, qui s'échelonne de 1943 à
1960, peut se caractériser par une consolidation du réseau
d'Alcan et de Price.
Alcan
Pendant la décennie 1940, mais surtout dans les années 1950-1960,
Alcan harnache la rivière Péribonka. Deux gigantesques réservoirs
sont d'abord aménagés dans le cours supérieur de la
Péribonka, celui du lac Manouane et celui des Passes-Dangereuses.
En régularisant les eaux de la Péribonka qui se déversent
dans le lac Saint-Jean, Alcan assure un approvisionnement continu à
la compagnie Saguenay Power, qui exploite le barrage d'Isle-Maligne depuis
1935, suite à une réorganisation de la Duke-Price. Les centrales
de Shipshaw et de Chute-à-Caron qui appartiennent à Aluminium
Company of Canada (Alcan) depuis 1938, peuvent aussi profiter d'un débit
plus régulier pour fournir les usines d'aluminium. En aménageant
ses réservoirs en amont de la Péribonka, Alcan prépare
la construction de trois centrales, cela s'effectuant dans les années
1950. Chute du Diable (205 000 kW) et Chute à la Savane (210 000kW)
sont érigées respectivement en 1950 et 1951 sur le cours inférieur
de la Péribonka. L'aménagement de Chute-des-Passes (750 000
kW), en aval du réservoir des Passes-Dangereuses, vient compléter
le réseau d'Alcan dans la région en 1956.
Avec ces six centrales, Alcan totalise une puissance installée de
2 687 000 kW comparée à 626 000 au début des années
1930 (voir annexe: Le réseau hydroélectrique du SaguenayLac-Saint-Jean).
En plus de fournir ses propres usines, Alcan répond aux besoins de
certaines papetières.
Price
Fort de l'expérience acquise au fil des ans, Price Brothers garde
une relative autonomie pour ses approvisionnements en électricité.
Cette compagnie profite de la conjoncture des années 1950 pour compléter
l'aménagement de la rivière Shipshaw, amorcé dans les
années 1920. Dès les trois premières décennies
du siècle, Price avait créé son propre réseau
de petites usines hydroélectriques. Deux centrales, Chute-aux-Galets
et Chutes-Murdock, permettent d'amorcer l'aménagement de la Shipshaw
qui est abandonné suite à la Crise de 1929 et à la
faillite de 1933. Les travaux y reprennent en 1950 avec la construction
du réservoir La Mothe qui fournit les nouvelles centrales Adam Cunningham
et Jim Gray construites en 1952-1953, ainsi que Murdock-Wilson aménagée
en 1957. Ces travaux améliorent sensiblement la position de Price
dont le réseau atteint une capacité de 171 000 kW, ce qui
équivaut à quelque 75% des besoins.
L'aménagement du réseau hydroélectrique régional
cesse au début des années 1960 alors que la capacité
totale dépasse les 3 000 000 de kW. Même s'il reste encore
les rivières Mistassini et Ashuapmushuan à aménager,
Alcan préfère alors se tourner vers la Colombie-Britannique
pour accroître sa production. Elle y aménage la centrale de
Kemano (896 000 kW) qui alimente l'usine de Kitimat, d'où les premiers
lingots d'aluminium sortent dès 1954.
1.4 Nationalisation des années
1960; un état qui laisse aux compagnies la propriété
et la gestion de leur réseau
Soulignons enfin, que lors de la nationalisation de l'électricité
par le gouvernement libéral de Jean Lesage en 1962, René Lévesque,
alors ministre des Richesses naturelles, laisse aux papetières (Price,
Consol) et à l'Alcan la propriété privée de
leur réseau au SaguenayLac-Saint-Jean. En agissant de la sorte,
le gouvernement du Québec confirme le pouvoir considérable
de ces entreprises privées sur le territoire du SaguenayLac-Saint-Jean.
En laissant une si grande autonomie à celles-ci dans la mise en valeur
des ressources de la région, l'État poursuit une politique
qui laisse l'initiative du développement entre les mains du grand
capital. En cela, nous pourrions dire que le gouvernement perpétue
un mode de gestion des ressources naturelles, qui, dans des régions
éloignées et relativement peu peuplées, n'a pas changé
alors que le Québec modernise son économie.
Mais à mesure que se constituent des communautés organisées,
les sociétés régionales manifestent de plus en plus
leur insatisfaction devant un mode de gestion des ressources qui perpétue
le mal-développement et l'extraversion de l'économie. L'exploitation
abusive des ressources ne produit pas suffisamment de retombées structurantes
et la société régionale commence à manifester
son impatience. Les efforts récents de questionnement sur les droits
et privilèges accordés à l'Alcan et aux papetières
montrent bien que les "régionaux" acceptent moins facilement
l'exploitation inconsidérée des ressources, d'autant plus
que cette exploitation massive commence à avoir des effets considérables
sur l'environnement et présentent des risques pour la sécurité.
C'est dans ce contexte que les régionaux appellent une réflexion
en profondeur des rapports qui régissent l'État et la grande
entreprise et leur impact sur le développement global des régions
.
On pourrait donc affirmer que depuis les premiers contacts avec le Saguenay,
il y a eu une continuité dans le mode de gestion des ressources naturelles
(publiques) qu'on concède à des entreprises privées.
Ces concessions se font sans préoccupation pour assurer un réinvestissement
des redevances dans le milieu ou un renouvellement des ressources. L'État
laisse trop souvent les populations à elles-mêmes (structures
sociales, politiques et culturelles). Dans toutes ces sphères de
leurs activités, les régions doivent rapporter des redevances
à l'État et des profits aux grandes entreprises.
Cette vision de la mise en valeur des régions, pose le problème
constant de l'exploitation et du développement durable, de la centralisation
et de la décentralisation.
2.0 - Quelques questions en marge d'un
déluge
Même s'il "vend" les ressources naturelles, dont l'eau et
les chutes d'eau, à des entreprises privées, il incombe au
gouvernement la responsabilité d'assurer la sécurité
de la population.
Sous ce rapport, quelles sont les vérifications que fait le gouvernement
sur son propre réseau et auprès des entreprises privées?
Quelles sont les stratégies d'intervention des différents
ministères impliqués dans cette gestion de l'eau? N'est-il
pas surprenant de découvrir que le barrage Kénogami est géré
par le ministère de la Faune et de l'Environnement alors que le propriétaire
en est la Société immobilière du Québec? Hydro-Québec
s'occupe des barrages de Chute Garneau et de Pont-Arnaud. Il est surprenant
de voir que ces employés gouvernementaux prétendent que la
faute vient de l'autre... Ces intervenants semblent mal coordonner leurs
interventions et ne se perçoivent pas comme des représentants
d'un gouvernement qui a juridiction en la matière. Les rôles
et les responsabilités en matière de vérification et
d'entretien des barrages publics sont confus alors que chaque ministère
tend à se déresponsabiliser.
En ce qui concerne le rôle du gouvernement sur la gestion des barrages
privés, encore là, il nous semble que le gouvernement délaisse
ses responsabilités à l'entreprise privée, principalement
en ce qui a trait à la sécurité des équipements.
La situation est-elle la même partout au Québec, là
où le secteur privé intervient? Quand un ministre affirme
que son ministère attend des plaintes des individus pour agir, cela
tend à démontrer que nos gouvernements sont irresponsables.
Quand des entreprises privées attendent les ouï-dire de tout
un chacun pour prendre leurs décisions en matière de gestion
de leur équipement, c'est désolant. Est-ce que le gouvernement
a laissé toutes ses prérogatives en matière de sécurité
aux compagnies privées et aux individus? Hélas, il semble
bien que ce soit le cas.
Au fil des années, a-t-on instauré des plans de vérification
des digues et des barrages? À la suite du tremblement de terre de
novembre 1989, est-ce que le gouvernement a entrepris, avec les compagnies
privées, une vérification des barrages et des différentes
digues pour évaluer les dommages et déterminer les actions
à entreprendre? Car il faut le rappeler, l'ensemble du réseau
de barrages et de digues, tant dans la région qu'à l'échelle
du Québec, date de plusieurs décennies, ce qui nécessiterait
sans doute une plus grande surveillance et un entretien plus soutenu.
Si les gouvernements doivent être critiqués pour le laisser-aller
dans leur gestion des barrages et de l'eau, certaines compagnies ne semblent
plus avoir les fonds nécessaires pour entretenir adéquatement
leur réseau construit au début du siècle suivant des
normes techniques qui peuvent sans doute être revues. La conjoncture
économique d'alors pouvait permettre à ces entreprises d'investir
dans de tels équipements. En est-il de même aujourd'hui? À
voir l'état de certains barrages et digues en région, il serait
sage de se questionner sérieusement sur la capacité qu'ont
certaines entreprises privées d'entretenir adéquatement leur
réseau.
Après avoir analysé l'histoire de certaines industries dans
la région, on pourrait croire que la situation économique
place plusieurs compagnies est dans une situation fort difficile. Par exemple,
lorsque le prix de la tonne de papier s'est fixé pendant plusieurs
années en-dessous du coût de production, comment a-t-on pu
planifier l'entretien des barrages alors que les déficits s'accumulaient
année après année? Quelles ont été les
stratégies pour vérifier, assurer l'entretien et les réparations
qui pouvaient s'imposer sur de vieux barrages ou digues? Est-ce que des
compagnies ont pu retarder des réparations, leur situation financière
et la situation des marchés étant trop difficiles? Est-ce
qu'il est possible, lorsque la valeur de la livre d'aluminium se situe à
0,50 $ la livre, qu'une compagnie puisse retarder les réparations
de barrages ou digues? De tels retards ont-il pu mettre en péril
la sécurité de la population? Le gouvernement n'a-t-il pas
un rôle de fiduciaire qui lui permet de s'assurer que de telles situations
ne puissent mettre en péril la sécurité de toute une
population? A-t-il joué ce rôle adéquatement au fil
des ans? Poser ces questions est légitime. Vérifier si de
telles situations ont pu se produire, s'impose.
De la même manière, à la suite des incidents de juillet
dernier, il faut se demander si les gouvernements ont pu retarder dans le
passé, certaines réparations ou aménagements qui pouvaient
avoir un impact sur la sécurité, parce que les fonds nécessaires
ne le permettaient pas? Nous le pensons.
Nous croyons donc que la Commission scientifique aura à répondre
à ces questions sur la gestion globale des ressources naturelles
en général et sur la gestion de l'eau en particulier. Car
le déluge, s'il n'a duré que quelques jours, il s'est préparé,
parce que depuis trop longtemps nos gouvernements et certaines compagnies
ne prennent pas leur responsabilité en région. Cela n'est
pas nouveau pour les "régionaux." Ce qui est nouveau, c'est
le fait que ce désastre peut nous permettre de comprendre que le
développement, pour qu'il soit durable, doit assurer un renouvellement
des ressources et la sécurité de la population.
Il est évident que lors de ce déluge, s'il y a eu une part
de Dieu, il y a eu aussi une part de l'homme.
3.0 - RECOMMANDATIONS
Considérant l'importance que la Commission devrait accorder aux questions
posées précédemment, lesquelles portent sur la gestion
des ressources naturelles sur le territoire concerné et leur impact
sur la sécurité de la population;
Considérant l'importance que la Commission devrait accorder au partage
des rôles entre les divers intervenants en matière de gestion
de l'eau en général, et de la gestion des barrages et digues
en particulier (gouvernements, ministères et autres organismes publics,
propriétaires privés, entreprises, etc.), nous croyons que
la Commission pourrait émettre les recommandations suivantes au gouvernement:
1- Le gouvernement devrait créer une commission d'enquête pour
que toute la lumière soit faite sur les causes lointaines et immédiates
du sinistre de juillet dernier;
2- Les gouvernements doivent repenser leur mode de gestion de l'eau afin
d'assurer le renouvellement de la ressource et la sécurité
du public;
3- À cette fin, les gouvernements doivent repenser leur mode de gestion
des redevances afin d'éclairer les populations qui désirent
assurer la pérennité des ressources à partir d'une
gestion globale de celles-ci (cela touche en particulier toute la gestion
de la ressource publique que constitue l'eau des barrages et digues);
4- Les gouvernements doivent mettre en oeuvre une politique globale d'évaluation
et d'inspection de la sécurité des barrages et digues (construits
principalement entre 1900-1960) qu'ils soient de propriété
privée ou publique;
5- Dans leur approche, les gouvernements devraient favoriser une cogestion
impliquant ses divers ministères, les compagnies, les municipalités
qui ont de tels équipements sur leur territoire ainsi que des représentants
régionaux intéressés par ces questions;
6- Enfin, les gouvernements et les entreprises devraient appuyer les recherches
sur l'histoire du climat et sur l'aménagement, l'évaluation
et l'entretien des barrages et digues. Merci de votre attention.
Annexe
