Événements

L’Œuvre de l’Autre présente Ambivalence

En février 2001, Cindy Dumais et France Simard ont exposé à L'Oeuvre de l'autre Des entretiens entre deux émetteurs-réceptacles
Du 11 au 19 décembre 2002, L’Œuvre de l’Autre, la galerie d’art de l’Université du Québec à Chicoutimi présente Ambivalence. Il s’agit d’un événement multidisciplinaire incluant une performance/théâtre, une installation vidéo, cinq peintures dont une mesurant 18 pieds de longueur et quatre projections de court-métrages, présenté par les étudiants de Marcel Marois inscrits à la Maîtrise en art de l’UQAC : Paul Antaya, Mathieu Beaudoin, Nadia Bertrand, Fred Côté, Cindy Dumais, Jaky Fortin, Sophie Larouche, Adrienne Luce, France Simard. Le vernissage de cet événement aura lieu le mercredi 11 décembre à 17 heures.

Ambivalence & tiers
Texte de Michaël Lachance

Nous avons horreur de l’ambivalence, parce que nous voulons que les choses soient des réalités séparées. Pourtant entre l’amour et la haine, le don et la voracité, le féminin et le masculin, la vie et la mort, le sens et l’absurde, le passif et l’actif, le normal et le pathologique, la peur et l’attirance – il y a une différence de degrés dans la tension, l’intensité et l’orientation. À une époque où nous voulons tout reconstituer sur une multitude de choix binaires, et construisons des cathédrales sur une accumulation de décisions entre oui et non, entre 1 et 0, – l’ambivalence rappelle que l’on ne peut prendre un décision nette, qu’un choix entre deux options fait davantage que sacrifier l’une pour l’autre, que ce choix consacre la mystification qui fait croire que les extrêmes sont des réalités différentes alors qu’ils ne sont que tensions contraires dans un même phénomène mouvant, flou, tendu, complexe, en torsion, et … ambivalent !

Il semble que nous ne puissions percevoir – et éprouver – les phénomènes sans les objectiver comme réalités séparées. Comment jouir d’une expérience qui maintienne l’ambivalence et ne provoque pas ces objectivations? L’expérience de l’art nous accorde parfois le privilège de connaître, quelques rares moments, une tension, ou une torsion, avant que celle-ci soit aussitôt réduite à une opposition binaire. Elle accorde le privilège de connaître un trouble de la conscience mais aussi de l’affect, de tout le corps – comme si nous devenions symptôme. Nous croyons que toute logique exige ce découpage binaire et l’exclusion du tiers. Hormis les logiques du tiers exclu, il n’y aurait pas de pensée rigoureuse. Pourtant l’ambivalence invite toujours le tiers, nous rappelle qu’il était toujours là, que c’est en fonction de ce tiers que nous opérons nos partages. Devant quel tiers oui-et-non pouvons-nous décider oui ou non? Montrer une image ou ne rien montrer ? Ce tiers est-ce l’inconscient au fond de soi, le non-savoir au confins du monde objectif, l’Autre qui structure le symbolique?

Aujourd’hui, avec l’aide de l’ensemble des médias, des équipements et des pouvoirs, la collectivité humaine a entrepris de se cadrer de nouveaux territoires existentiels. La pratique artistique, lorsqu’elle renoue avec la pratique de soi et la célébration de l’ambivalence, nous propose de percuter les grands agencements économiques, sociaux et culturels, qui contribuent à façonner l’expérience que nous faisons de nous-même comme sujets, – et produisent des sujets en série, chacun à sa place. Notre pratique propose des déterritorialisations existentielles, des subjectivités hétérogènes et singulières. Tel est le tiers, il est là-et-pas-là. Là où on l’attend pas, pas là où on l’attend.

Par crainte de réveiller la dimension hostile de nos sentiments d’ambivalence, nous n’entrons pas en contact avec la fragilité de nos singularités personnelles. Nous acquérons un air d’aller qui nous conserve nos enveloppes. Crainte de la bisexualité psychique, crainte du corps morcelé, crainte de lâcher prise : notre certitude d’être doit précéder et chapeauter le réel, mais le chapeau tombe, le réel est alors à découvert, insensé, non-capitalisable. On voit alors ce qu’à toujours manqué le totalitarisme de la quête de sens : le discours de l’affect qui a déserté cette quête. Car l’affect ne fait pas sens, – il semble même qu’il ne se sent pas. L’angoisse est inodore, elle ne se repré(sent)e pas. Voilà pourquoi nous voulons à tout prix que l’angoisse soit métabolisée, niée. Parce que l’angoisse est l’ambivalence pure. Parce que tout affect est ambivalent.

Pourquoi toujours tout séparer et opposer ? Car nous parviendrons ainsi à l’annulation de toute chose par son contraire. Nous ambitionnons d’éradiquer cette vacillation et de ne laisser que le vide en place. Lorsque le vide nous a envahi, il n’y a plus de mots ou d’émois. Telle est notre misère culturelle : pas d’image pour se dire, pas de culture pour se définir, pas d’ontologie pour s’actualiser, pas d’altérité pour se contraster. Nous avons des images, mais elles sont sans ambivalence. Nous avons réduit l’altérité à quelques marqueurs qui n’ont plus de sens. Il est grand temps d’inviter le tiers, dans son étrangeté radicale, qui fait naître en nous des attitudes paradoxales. Qui fait remonter le sacré, non pas à une soif d’absolu, mais au mysterium fascinans/tremendum de l’ambivalence extrême en chacun de nous.