Chronique

Développer l’esprit critique

Mathieu Gagnon est professeur au Département des sciences de l'éducation et de psychologie. (Photo : Sylvain Dufour)
CHICOUTIMI – « Je ne suis pas un pourvoyeur de vérité ». J’encourage toujours les étudiants à remettre en question ce que je leur dis. La visée première de l’éducation devrait être le développement de l’esprit critique », estime le professeur au Département des sciences de l’éducation et de psychologie, Mathieu Gagnon.

Le Jonquiérois d’origine possède un baccalauréat en philosophie, une maîtrise en philosophie pour enfants et un doctorat en pédagogie. Il s’intéresse particulièrement à l’enseignement de la philosophie chez les enfants. Lorsqu’il parle de philosophie, Mathieu Gagnon ne pense pas à l’étude de Platon ou de Rousseau, par exemple, mais plutôt à une philosophie « pratique ».

« Les recherches sur la pensée critique des enfants sont très récentes. Il n’y a pas si longtemps, les gens pensaient qu’on ne pourrait pas obtenir de résultats avec des enfants, alors aucune étude n’était menée. C’est Matthew Lipman qui a changé la donne avec ses recherches dans les années 1970. »

« Les enfants posent sans cesse des questions, ils sont curieux. Ils veulent savoir d’où viennent les étoiles, par exemple, ou ce qu’est l’amitié. Il faut profiter de leur curiosité pour développer leur pensée », souligne celui qui aime bien faire l’exercice avec ses propres enfants.

Dans le processus retenu par monsieur Gagnon lors de ses recherches, l’enseignant devient un cochercheur et non pas un être supérieur qui divulgue la vérité. Mathieu Gagnon souligne que des recherches réalisées au Québec avec des élèves de la maternelle ont prouvé qu’après un an, les enfants étaient capables d’avoir un dialogue quasi critique, de changer de point de vue et de supporter leurs idées avec raison.

« L’UNESCO estime que l’enseignement de la philosophie est important pour le développement des élèves. De plus en plus de recherches le prouvent aussi. »

Cependant, les élèves à qui la philosophie est enseignée tendent tout de même à ne guère poser de questions lorsqu’ils arrivent aux cours d’histoire ou de mathématiques, par exemple. « Pour eux, les modèles en science redeviennent une réalité que l’on ne peut juger. Pourtant, si un enseignant d’histoire est souverainiste, il ne parlera pas de l’histoire du Québec comme le ferait un fédéraliste », estime le président de l’Association québécoise de philosophie pour enfants.

Le professeur du cours de « Fondements en apprentissage scolaire » tente de mettre ses étudiants, de futurs enseignants, dans des situations qui les poussent à se questionner. « Au Québec, nous avons la pensée selon laquelle plus on donne de l’information à nos étudiants, mieux c’est. Ce n’est pourtant pas parce que le professeur est en avant et qu’il parle sans arrêt que le jeune apprend plus. Je veux que mes étudiants soient capables d’évaluer la qualité de l’information que je leur donne; la pertinence. Je souhaite qu’ils prennent leurs distances par rapport à tout ce qu’on leur dit. J’ai des connaissances, mais je ne détiens pas nécessairement la vérité. Avoir un jugement critique ne veut pas dire être « critiqueux » . En ce sens, il est important que les jeunes aient un jugement critique et se posent des questions. »
Monsieur Gagnon explique que des études ont prouvé que lorsque l’on donne l’occasion aux jeunes de réfléchir, ils arrivent souvent aux mêmes conclusions que celles qu’aurait voulu leur inculquer leur enseignant. Dans cette optique, Mathieu Gagnon croit qu’il faut faire confiance aux jeunes.

Ne pas imposer

Et si des cours de philosophie étaient imposés aux Québécois dès le primaire?

« Je ne pense pas qu’il faille les imposer. C’est à la discrétion des enseignants et des écoles. Ceux qui le font déjà ont plus de chances de bien le faire parce qu’ils ont un intérêt marqué, déjà. En les imposant, on risquerait d’avoir des gens qui seraient plus récalcitrants. Ça ferait couler le bateau. Je pense toutefois que les méthodes d’enseignement de la philosophie chez les enfants ne sont pas encore assez enseignées dans nos universités. »

Le Quotidien, 13 février 2010
Un texte de Katerine Belley-Murray