CHAPITRE 11

 

Les états dispersés

   

Préambule

On a vu que la matière existe normalement sous l’une des trois formes classiques : solide, liquide ou gazeuse.  On a aussi mentionné, sans le décrire, un état particulier : l’état vitreux.  Il existe des états qui, bien que n’étant pas les formes les plus stables de la matière, n’en constituent pas moins des états que le chimiste et le biochimiste sont susceptibles de rencontrer fréquemment.  Parce qu’ils ont des propriétés particulières, il est important de bien les connaître et les reconnaître.

Quelles sont les lois qui gouvernent ces types d’états ?

 

 

 

1.  Généralités

Ces états ne constituent pas de nouvelles phases, mais bien plutôt un mode particulier de coexistence de phases.  Ce sont les systèmes dispersés.  Un système dispersé est formé d’au moins deux phases dont l’une est la phase dispersante : c’est un milieu continu parfois appelé extérieur.  L’autre phase est la phase dispersée et elle est discontinue.  Il peut exister plusieurs phases dispersées.

Rappelons qu’une solution vraie, à la limite, selon la définition tout juste donnée, est composée d’une phase dispersante et d’une ou plusieurs phases dispersées dont le diamètre moyen est inférieur à 1 nm.  Ainsi, à l’échelle macroscopique on ne distingue qu’une phase unique.

Une solution colloïdale se rattache au système dispersé.   Le diamètre moyen des particules dispersées est compris entre 1 nm et 1 µm.  La phase dispersante est le liquide micellaire et la phase dispersée est formée de micelles.  Le lait, la vinaigrette, … sont des solutions colloïdales.

 

2.  Classification

Il existe plusieurs façons de classer les systèmes dispersés.  Pour sa simplicité et surtout parce qu’il permet de rattacher ces systèmes aux phases solide, liquide et gazeuse, on retiendra la classification selon la nature de la phase dispersante.

a-      Dans les gaz. 

i.      Lorsque la phase dispersée est un liquide, ce sont les nuages, les fumées, les brouillards, …

ii.     Lorsque la phase dispersée est un solide, ce sont les aérosols.

b-     Dans les solides :

i.           Lorsque la phase dispersée est un gaz, ce sont les mousses solides comme la mousse isolante.

ii.         Lorsque la phase dispersée est un liquide ce sont les émulsions solides comme la crème glacée et l’asphalte.

iii.        Lorsque la phase dispersée est un solide, ce sont des dispersions solides.  Exemple : plusieurs alliages.

c-      Dans les liquides qui eux mêmes se subdivisent en :

i. Lorsque la phase dispersée est un gaz, ce sont les mousses liquides comme la mousse des extincteurs.

ii.         Lorsque la phase dispersée est un liquide ce sont les émulsions comme le lait et la vinaigrette.

iii.        Lorsque la phase dispersée est un solide, ce sont les sols.  Exemple : certains types de peinture, les encres,…

 Un petit problème : comment réconcilier la mousse au chocolat avec les définitions précédentes.  On comprend aisément que la mousse est obtenue par dispersion vigoureuse de l’air dans le chocolat liquide, cette mousse étant conservée pendant le refroidissement de la dispersion, ce qui lui donne cette sensation délicate et onctueuse.

 

 

3.  Les sols

Les sols se séparent en deux catégories selon qu’ils sont réversibles (ou encore lyophobes) et irréversibles (ou encore lyophiles). 

 

 

4.  Les gels

On distingue aussi les gels : ce sont des dispersions colloïdales, donc des sols, aux propriétés particulières.  Ces propriétés sont voisines des liquides très visqueux, voire des solides.  Elles sont souvent caractérisées par :

        -         leur déformation élastique : le module d'YOUNG (1773-1829)  (Rappel voir Chapitre 6.8.1)

-         leur écoulement plastique : le point de fluage

-         leur liquéfaction par agitation suivi d’une ré-gélification après repos.  C’est la propriété de thixotropie.

Certains gels sont constitués d'une matrice solide renfermant une quantité importante de molécules d'eau.  Ces gels sont souvent peu rigide et sous l'action d'un choc, par exemple, sont tremblotants.  Sous l'effet d'une agitation importante, la structure rigide se disloque et les molécules d'eau sont libérées : le gel se liquéfie.  Au repos, l'organisation moléculaire se reconstitue et ce milieu liquéfié redevient gel.  Les sables mouvants de la baie du Mont Saint-Michel, en France, les argiles de la région de St-Jean-Vianney, province de Québec, les avalanches en montagne, ... ont donné lieu à des épisodes tragiques.  Des marcheurs imprudents dans le premier cas ont été engloutis.  Dans le second cas, suite à des pluies abondantes, le glissement de terrain qui en a résulté à emporter une partie impressionnante du village le 4 mai 1971.  

-         Une propriété opposée à la précédente : l’accélération de la gélification par agitation : c’est la propriété de rhéopexie. Les fluides rhéopexiques sont plutôt rares et, hormis le cas de la pâte à dents, ils font partie des curiosités.

-         Optiquement, les gels sont isotropes : ils deviennent biréfringents par déformation.

-         Les gels « secs » ont la propriété de gonflement lorsqu’ils absorbent les molécules de solvants.

-          Ils font preuve de maturation par expulsion de molécules de solvants.  C’est le phénomène de la synérèse.

 

 

5.  Les suspensions solides

 

5.1.  La vitesse de sédimentation

Ce sont donc des dispersions grossières de solides finement divisés dans un liquide.  Le processus de stabilisation normal implique une sédimentation des particules solides.  On peut appliquer à ces particules en cours de sédimentation la loi de STOKES.   Leur mouvement descendant est soumis à deux forces opposées : la force de gravitation qui entraîne ces particules vers le bas et la force de viscosité qui freine leur déplacement.  Notons que si c’est le cas général, il peut arriver aussi que le solide ait une densité plus faible que celle du liquide.  Les résultantes des forces produit alors un mouvement ascensionnel des particules solides (rappel de la loi d’ARCHIMÈDE) (Fig. 11.1).

 

Figure 11.1.  Une particule dans un fluide.

 

Dans un liquide de viscosité dynamique h, la force de résistance à l’avancement FR est donné par la relation :

11.1                                        FR   =  6 p r h v

Dans cette relation r est le rayon de la sphère en mouvement et v sa vitesse.  La force due à l’accélération de la pesanteur FG est donnée par :

11.2                                        FG   =  (4/3)  p r3 (ds  -  dliq) g

Les grandeurs ds  et  dliq représentent la densité du solide et du liquide et g est l’accélération de la pesanteur.  À l’équilibre entre ces deux forces on obtient la vitesse de sédimentation (voir aussi l’équation 4.13) :

6 p r h v   =   (4/3)  p r3 (ds  -  dliq) g

11.3

La vitesse de sédimentation croît comme le carré du rayon de la sphère, bien sûr comme la valeur de g ;  elle est inversement proportionnelle à la viscosité du milieu.  On peut déjà soupçonner l’intérêt de la valeur g.  Cette grandeur est fixée par la nature lorsqu’on laisse la seule gravité universelle jouer son rôle.  On peut bien sûr modifier la gravité à laquelle est soumis un échantillon en l’introduisant dans une centrifugeuse, laquelle peut plus que décupler la valeur de g.  Par ailleurs, plus la particule en suspension est grosse et plus sa vitesse de sédimentation est grande.  Il y a là une méthode potentielle pour mesurer la grosseur des particules en suspension.

 

5.2.  Les méthodes de détermination du diamètre des grains

Quelques définitions :

-         Grosseur ou diamètre des grains : c’est la longueur du côté du cube qui occupe le même volume que le grain.  Notons que ce dernier peut être de forme irrégulière.

-         Grosseur moyenne des grains : c’est le volume moyen.  Il peut être défini de la manière suivante :

-         L’indice de poids P(i) : c’est le rapport entre la somme des poids des particules d’un diamètre inférieur à une certaine valeur i et le poids total.

 

-         L’indice du nombre de grains N(i) : c’est le rapport entre le nombre de particules dont le diamètre est inférieur à une certaine valeur i et le nombre total de grains.

-         L’indice de surface S(i) : c’est le rapport entre la surface de particules dont la grosseur est inférieure à une certaine valeur i et la surface totale des grains est donnée par :

On se rappelle en effet que si l’arrête du cube a une longueur i, la surface de ses six faces fait bien égale à  6(i2).  

 

 

5.3.   Les méthodes de mesures

i.                     Une première méthode très simple mais laborieuse pour mesurer les particules consiste à utiliser le micromètre étalonné.  Comme il faut faire un grand nombre de mesures, c’est évidemment long et fastidieux.  On obtient une valeur de la moyenne du diamètre des grains.

ii.                   Une deuxième méthode utilise le tamisage à travers une série de tamis de plus en plus petit.  On obtient une distribution par tranche de poids.  C’est plus rapide mais à peine plus informatif que la méthode précédente.  En pesant les différentes fractions, on obtient l’indice de poids (Fig. 11.2).

 

 

Figure 11.2.  Principe d’empilement de tamis de différentes grosseur.

 

 

iii.                  Une méthode déjà mentionnée plus haut réside dans la mesure de la vitesse de sédimentation.

La loi de STOKES, équation 11.3, se réarrange sous la forme :

11.4

Puisque L3  = (4/3) p r3,  cela entraîne que :

La condition importante à respecter est que L demeure inférieur à 0,1 mm, tout au moins dans le cas où l’eau est la phase dispersante.  Il faut en outre que le bassin de sédimentation soit suffisamment grand pour éviter les phénomènes d’agglomération des particules en suspension.  Les très petites particules, sous l’influence du mouvement Brownien s’agglomère : c’est le phénomène de coagulation péri cinétique.

Par ailleurs, dans leur mouvement descendant, les grosses particules (qui descendent plus vite que les petites) entraînent les petites.  C’est le phénomène de la coagulation ortho cinétique.  On peut éviter au moins partiellement cette coagulation en ajoutant une certaine quantité d’électrolytes qui a pour but de charger les particules.  Celles-ci, chargées de la même manière ont tendance à se repousser, et donc s’éviter à causes des forces électrostatiques.

Il existe plusieurs techniques de sédimentation :

-         La lévigation
-         La méthode d’ANDERSEN
-         Les balances granulométriques
-         L’absorption lumineuse (la turbidimétrie),…

Le choix de la méthode est dictée, conditionnée par la grosseur des particules.  Le tableau 11.1. précise les domaines d’«application de chacune des méthodes.

Tableau 11.1.  Méthode à utiliser

Grosseur des particules Méthode
100 à 1 mm tamis
1 à 0,1 mm tamis et lévigation
0,1 à 0,01 mm lévigation et sédimentation
0,01 à 0,001 mm (1 µm) sédimentation
1 µm à 0,01 µm rayons X (voir plus bas)

iv.                     La mesure de masses moléculaires par la diffusion de la lumière.

La mesure des masses moléculaires de polymères en solution s’accommode très bien de la technique de la diffusion de la lumière, plus spécifiquement de la mesure de la turbidité (chapitre 5,1.3.c).  L’équation qui gouverne ces mesures a été déterminée par EINSTEIN.  Elle est de la forme d’un développement en série qui rappelle l’équation du viriel :  

11.5

+  A' C  +  B' C2  +  . . . 

H est un facteur de proportionnalité que l’on peut calculer et qui intègre plusieurs paramètres expérimentaux (longueur d’onde d’observation l exprimée en cm, l’indice de réfraction n, la variation d’indice de réfraction dn avec la concentration C, …). C est la concentration exprimée en gramme par cm3, et t la turbidité de la solution a été définie au chapitre 5, équation 5.13.  

11.6

H  =  

M’ représente la masse molaire apparente du soluté. La formule 11.5 montre que cette valeur est obtenue par extrapolation à concentration nulle: 

11.7

Sa valeur est reliée à la masse molaire réelle du soluté à travers une relation qui dépend des propriétés des molécules en solution, plus précisément de leur forme (coefficient a) et de leur nature (coefficient b) de telle sorte que :

M  =  M' a b

Par exemple, les valeurs de a et de b sont respectivement 1,25 et 0,961 pour le polystyrène en solution dans la 2-butanone.

Bien sûr, la valeur de M ainsi obtenue représente une valeur moyenne de la masse molaire du polymère.  Cette valeur moyenne est différente de la valeur moyenne obtenue à travers la mesure en pression osmotique (Chapitre 8.4, voir l'équation 8.16)), la moyenne obtenue était alors une moyenne en nombre.  Celle obtenue ici est la masse molaire moyenne en poids :

11.8

À nouveau, Mi est la masse molaire des ni particules.

Les problèmes 4 et 5 en fin de ce chapitre montrent que l’utilisation de la diffraction de la lumière (de la turbidimétrie) est versatile puisqu’on peut l’appliquer à des molécules relativement petites comme le sucrose jusqu’à des macromolécules de masse moléculaire supérieure ou égale à plusieurs millions de g/mol.  Rappelons, que les mesures par osmométrie, plus faciles à mettre en œuvre sont plus limitées dans leurs applications, permettant la mesure de masses moléculaires dans une échelle un peu plus réduite : de 20 000 à moins de 1 million. 

 

5.4.  Diffraction des rayons X

La diffraction des monocristaux par des rayons X (Voir un cours de cristallographie, la méthode de DEBYE-SCHERRER) donne des raies floues et élargies dès que le diamètre des grains est inférieur à 1 µm.  En supposant que le monocristal est sphérique et de diamètre d, on a :

11.9                                        d  =  4 l (3 b cos q)

Le symbole l représente la longueur d’onde du faisceau X, q est l’angle de réflexion selon BRAGG et b est la largeur de la raie : trois grandeurs expérimentales.  On dispose donc des paramètres pour obtenir la dimension d des grains.

 

Conclusion

Les méthodes de sédimentation sont les plus utilisées et peut-être les plus précises.  On est intéressé par le nombre N de particules par gramme.  Dans le système CGS, on obtient :

 

11.10

  r est le rayon du grain exprimé en cm et d est la densité du solide exprimée en g/cm3.

 

 

5.5.  Mouillage et étalement

On ne tient pas compte dans la loi de STOKES du mouillage, ou encore de la mouillabilité du solide.  Propriété du solide, il faut que toute la surface du solide soit mouillée.  La mouillabilité dépend à la fois du solide et du liquide et de l’interface entre ces deux phases.  Dans le cas de l’interface entre deux liquides le coefficient d’étalement S est égal à :

11.11                                        S  =  sE  -  sH  - sH,E

Les éléments sE  et  sH sont respectivement les tensions de surface du liquide inférieur et du liquide supérieur et sH,E est la tension inter faciale (Fig. 11.3).  On montre que si S est positif, il y a étalement.  C’est par exemple ce qui se passe quand une goutte d’huile se répand sur une nappe d’eau.

 

Figure 11.3. État stable deux liquides non miscibles.

 

Dans le cas du mouillage solide/liquide, la même équation est applicable :

11.12                                        S  =  ssol  -  sliq  - ssol,liq

La même condition, S > 0, est applicable.  Il faut que la grandeur ssol soit supérieure à la somme sliq  + ssol,liq :

ssol > sliq  + ssol,liq

On aura donc intérêt à diminuer la tension de surface du liquide pour que le coefficient d’étalement soit positif.  Dans le cas de l’eau, on ajoute un agent tensioactif qui abaisse la tension superficielle de l’eau seau.

 

 

6.  Les émulsions

 

6.1.  Définition 

Les émulsions sont des dispersions de type liquide – liquide.  Elles ressemblent aux dispersions colloïdales mais s’en différencient par la dimension des gouttelettes de liquide : ici entre 0,2 et 10 µm (parfois de 0,01 µm jusqu’à 100 µm).  Les différences de densités sont en général faibles et les forces de friction sont élevées.  Il s’ensuit que, même instables, elles évoluent lentement.

Considérons une éprouvette contenant  quelques mL d’eau surmontée de quelques mL d’huile, par exemple 5 mL (5 cm3).  La surface de la région inter faciale est de l’ordre du cm2. La tension inter faciale est de l’ordre de 100 ergs.

En agitant vigoureusement l’éprouvette fermée, on provoque la formation de l’émulsion (Fig. 11.4). 

 

Figure 11.4. Formation d’une émulsion par agitation.

 

 

Supposons qu’elle est constituée de fines gouttelette dont le rayon est de 5 µm.  Le nombre de gouttelettes est donné par la relation suivante :

N  =  volume total / volume d’une gouttelette

N  =  9,54 109   »  1010 gouttelettes

Il y a donc quelque 1010 gouttelettes.  La surface totale de ces sphères est telle que :

S  =  4 p r2N  =  4 ´ 3,1416  (5 10-4 cm) 2  ´ 9,54 109  »   3 104 cm2

La tension de surface totale, ou mieux l’énergie de surface, a donc été multipliée par un facteur de , conférant ainsi à l’émulsion une énergie interne importante.  C’est donc un système très instable qui tend à revenir à la situation où coexistent deux phases uniques séparées par une zone inter faciale minimum.  C’est se qui se passe si on essaie de préparer une vinaigrette constituée uniquement d’huile et de vinaigre. 

Il faut donc ajouter un agent émulsionnant ou un émulsionnant.  L’utilisation de la moutarde dans la vinaigrette joue, entre autres, ce rôle d’agent de stabilisation.

 

6.2.  Les types d’émulsion

On définit deux types d’émulsion en prenant l’eau et l’huile comme référence.  On a les émulsions eau dans huile, en abrégé E/H, pour lesquelles l’huile constitue le milieu extérieur continu.  L’autre type d’émulsion est son symétrique, c’est-à-dire huile dans eau, en abrégé H/E, pour lequel l’eau est le milieu continu extérieur.

Ces deux types d’émulsion ont des propriétés quelque peu opposées.  Les émulsion de type E/H ne conduisent pas le courant électrique et ne se mélange pas dans l’eau au contraire des émulsion de type H/E qui conduisent le courant électrique et qui se mélangent à l’eau.  De la même manière, les émulsion de type E/H se mélange à l’huile contrairement aux émulsions de type H/E.  On utilise aussi un colorant, le Soudan III qui se dissout dans l’huile pour différencier les deux types d’émulsion.

 

6.3.  Les agents émulsionnants

Un agent tensioactif diminue la tension inter faciale et en conséquence diminue l’énergie interne de l’émulsion.  Il prolonge donc la vie de l’émulsion.  Pour jouer leur rôle ils doivent être plus solubles dans la phase dispersante, la phase externe, que dans la phase dispersée.  Le tableau 11.3 donne quelques exemples d’agents tensioactifs.  On a déjà vu au chapitre 7.5. les propriétés des composés amphipolaires qui ont une partie de leur structure soluble dans des solvants polaires et une autre partie dans des solvants apolaires.

 

Tableau  11.3.  Exemples d’agents tensioactifs

Émulsions de type Eau/Huile Émulsions de type Huile/Eau

les savons alcalino-terreux
la gutta-percha
les cires, les esters d’acides gras supérieurs
etc.

Les savons alcalins,
les pectines et l’amidon
la caséine, l’albumine
la gélatine
les détergents,…

 

6.4.  Les émulsionnants et l’équilibre hydrophile – lipophile (BHL)

Il existe une échelle empirique qui permet de classer chaque groupe tensioactif suivant leur indice BHL (de l’anglais « Balance Hydrophile-Lipophile).  C’est une échelle semi empirique qui va de 1 à 40.  Cette méthode prédit, à partir de la structure des molécules, quelles sont leurs propriétés émulsionnantes. En effet, les agents tensioactifs ont des propriétés étroitement liées à la structure de leurs molécules.  Cette approche est basée sur le fait que des molécules ont des groupes hydrophiles, d’autres ont des groupes lipophiles et d’autres enfin ont les deux types de groupes. Le pourcentage en poids de chacun des deux groupes dans une molécule ou dans un mélange prédit quel comportement a une structure moléculaire particulière.

Il est long et difficile de mesurer ces indices ; on préfère plutôt les calculer en se basant sur la constitution chimique de l’émulsionnant (groupes polaires, …) (Tableau 11.4).  Des agents stabilisant pour des émulsions de type E/H ont un indice BHL plutôt bas, typiquement de l’ordre de 4.  Ils sont peu solubles dans l’eau.  Les composés qui se trouvent en haut de cette échelle sont les surfactants hydrophiles qui possèdent une grande solubilité dans l’eau et qui sont de bons solubilisant.  Les détergents et les stabilisateurs d’émulsions de type H/E ont des nombres BHL intermédiaires.  Pour les acides gras on utilise la formule de GRIFFIN :

Indice BHL  = 20 (1 – S/A)

S est l’indice de saponification de l’acide gras et A son indice d’acide.

 

Tableau 11.4.  Indice BHL de quelques émulsionnants

Émulsionnant Indice BHL Émulsionnant Indice BHL
acide oléique 1,0

Span® 65,
tristéarate de glycol

2,1
gomme arabique 8,0

Span® 80,
monooléate de sorbitan

4,3
gélatine 10,0

Span® 20,
monolaurate de sorbitan

8,6
oléate de triéthanolamine 12 Tween® 85 11,0
oléate de sodium 18 Tween® 80 15,0
lauryl sulfate de sodium » 40 Tween® 20 16,7

 

 

6.5.  La viscosité d’une émulsion

La viscosité d’une émulsion est très complexe.  Notons que plus la phase externe est visqueuse et plus l’émulsion est stable.  La responsabilité de cette stabilité ne résulte pas d’un facteur thermodynamique mais plutôt cinétique.

 

6.6.  La stabilisation de l’émulsion

La stabilité est surtout liée à la stabilité des particules liquides.  Exemple ; les émulsions de type H/E sont stabilisées par un savon.  Ce dernier contient des acides gras à longue chaîne hydrocarbonée.  On admet que le groupement carboxylique (le carboxylate de sodium) est orienté dans la phase externe, l’eau, tandis que la partie organique, la chaîne hydrocarbonée est immergée vers l’intérieur de la phase dispersée (Fig. 11.5).

Figure 11.5. Stabilisation à l’aide de savon.

 

Tout se passe comme si les gouttelettes d’huile s’entouraient d’un film de «savon» qui isole les gouttelettes d’huile les unes des autres.  Il se forme comme un écran électrostatique qui repousse la coalescence de deux particules d’huile.

 

6.7.  L’inversion des émulsions

En faisant varier les concentrations initiales de l’huile et de l’eau (des phases organiques et aqueuses), on obtient tantôt une émulsion de type H/E, tantôt E/H.  On vient de le voir, une émulsion de type H/E est stabilisée par l’ajout d’un savon sodique.  Par ailleurs, l’ajout d’un savon alcalino-terreux (de calcium) stabilise les émulsions de type E/H.  Par conséquent, si à une émulsion stabilisée par un savon sodique, donc de type H/E, on ajoute un excès de savon alcalino-terreux, on observe l’inversion de l’émulsion qui devient de type E/H.  Le retour vers l’émulsion de type H/E est possible en ajoutant un nouvel excédent de savon sodique.

La mayonnaise est bon exemple d’une émulsion H/E.  Les gouttelettes d'huile sont enrobées d'une mince couche de molécules émulsifiantes ou tensioactives apportées par le jaune d'œuf et aussi par la moutarde. L’eau est également apportée par le jaune. Faire tourner une mayonnaise consiste en une inversion de l’émulsion.

 

6.8.  Le crémage des émulsions

C’est la séparation d’une émulsion en deux émulsions dont l’une est nettement plus riche que l’autre en particules dispersées.  La vitesse de sédimentation,  u, des particules est donnée par la relation 11.3 :

Plus les particules sont grosses et plus la sédimentation est rapide.  En intégrant cette équation entre les distances x1 à t1 et x2 à t2, on obtient :

L’opération homogénéisation a pour but de réduire le rayon r des particules, donc d’augmenter la stabilité.  Si la phase dispersée à une densité plus grande que celle du dispersant,   ds  >  dliq, la vitesse de sédimentation est positive et le crémage est descendant.  Inversement, il est ascendant.  C’est ce qui se passe avec du lait frais qu’on laisse se reposer : la crème se sépare du petit lait et se dépose en surface.

Le crémage est accéléré par une augmentation de la valeur de g à l’aide de centrifugeuse.  Dans ce cas, la vitesse de sédimentation est donnée par la relation :

11.13

Dans cette formule, w est la vitesse angulaire de la centrifugeuse et x est la distance de la particule à l’axe de la centrifugeuse.  Dans une telle machine, l'accélération à laquelle est soumise une particule située à une distance x de l'axe de rotation est égale à  w2xEn séparant les variables, la distance x et le temps t, et en intégrant entre les mêmes limites que précédemment, on obtient :

Cette méthode, appelée méthode de vitesse de sédimentation, permet d’obtenir la dimension r, le rayon des particules.

Cette relation gouverne le principe de fonctionnement de l’écrémeuse et donc de la production du lait écrémé.

 

6.9.  La démulsification

Encore appelée la rupture de l’émulsion, la démulsification consiste en la séparation d’une émulsion en deux phases différentes et homogènes ou en une seule phase homogène.  Par exemple, l’addition d’un excès d’éthanol à une émulsion de type H/E détruit complètement l’émulsion.  Il reste une seule phase qui contient à la fois l’eau, l’huile et l’éthanol.

 

 

7.  Les mousses

Ce sont des dispersions de gaz dans un liquide.  Parfois, aussi on obtient des mousses par dispersion de gaz dans un solide en formation : mousse de platine, mousse de foam, de polyéthylène,…).

En général, un liquide ne mousse pas et la stabilité d’une mousse est conditionnée par l’addition (ou la présence) d’un agent moussant.  La formation d’une bulle est, a priori, facilitée par une tension superficielle faible de la surface du liquide.  On montre cependant que cela n’est pas nécessaire. 

On mesure le pouvoir moussant en agitant violemment dans un tube le liquide contenant un agent moussant et on mesure le temps t et la hauteur h de la colonne de mousse.  La relation entre t et h est donnée par :

11.14                                        h  =  h0 exp-k t

Dans cette équation, h0 est la hauteur de la mousse au temps initial, t = 0 et k est la constante de drainage.  Elle s’exprime comme l’inverse d’un temps.  

Il existe donc des produits favorisant la formation des mousses : ce sont les spumifuges.  Il est intéressant de noter que le lait en contient naturellement ce qui lui qui confère cette propriété moussante.  Ces agents moussants sont aussi responsables du fait que le lait chauffé dans un récipient ne forme pas une ébullition similaire à celle de l’eau.  Au contraire, le lait « monte » et éventuellement passe par dessus le récipient.

 

8.  Les aérosols (les fumées)

Ce sont des dispersions de fines particules solides ou liquides dans un gaz.  Le milieu dispersant est caractérisé par une très faible viscosité.  La stabilité des aérosols dépend de l’énergie cinétique des particules dispersées.  Le libre parcours moyen des particules est en effet grand.  La constante de diffusion D des particules de rayon r est donnée par la relation :

11.15

Le symbole h  représente la viscosité dynamique du milieu dispersant et R la constante des gaz parfaits.  La coagulation des particules a lieu par collision de deux particules qui forment une particule dont le volume est égal à la somme des volumes des deux particules en collision.  Ce sont des réactions d’ordre 2 (voir le cours de « Cinétique chimique », Chapitre 3.3.). 

On définit le temps de demi-coagulation comme étant le temps requis pour que le nombre de particules en suspension par unité de volume a diminué de 50 %.  Ce temps de demi coagulation t1/2 est donné par :

11.16  

 La même relation devient plus compliquée si les particules sont chargées ou ionisées.

Dans les conditions normales de température et de pression, cette relation  doit être modifiée.  En effet, le libre parcours moyen, l, des particules est de l’ordre de grandeur de leur rayon (l ~ 10-3 m).  Il s’ensuit que la résistance due au frottement doit être corrigée  (correction de Cunningham).  La relation 11.17 remplace la précédente.    

11.17

Cette dernière relation n’est encore valide que dans certain domaine de dispersion.  Elle ne tient plus dans un domaine fortement dispersé.

 

9.         Conclusions


Les états dispersés sont le plus souvent des états instables, rendus comme tels par l’intervention de forces intermoléculaires relativement fortes.  On remarque que les zones inter faciales jouent des rôles importants dans leur apparente stabilité.

Ces états et leurs propriétés sont importantes en particulier dans le cas de l’eau qui jouit d’une tension de surface très élevée ainsi que dans beaucoup de milieu bio-organique dont le lait est un exemple.


 

 

Pour en savoir plus

Griffin, W. C., Classification of surface-active agents by HLB, J. Soc. Cosmetic Chem., 1, 311 (1949).

Becher, P., Emulsions : theory and practice, 3e edition, Oxford University Press, 514 pages, 07/2001, ISBN : 0-08412-3496-5

Sur le glissement de terrain de St-Jean-Vianney  le 4 mai 1971 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Jean-Vianney   (sites visités le 2019-02-12)

Quelques biographies sur web  dont celle de DEBYE, STOKES.

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Problèmes

 

Problème N° 1

Quelle est l’accélération à laquelle est soumise une particule située à une distance de 6 cm de l’axe de rotation d’une centrifugeuse qui tourne à       25 000 tours par minute ?

  Réponse :  =  1062 fois l’accélération terrestre

Problème N°2

En utilisant la méthode de vitesse de sédimentation, la limite de la suspension située à 0,10 m de l’axe de rotation de la centrifugeuse se déplace de 0,08 m en 40 minutes.  La densité du matériel en suspension est de 1 250 kg/m3.  Quel est le rayon des particules en suspension ?

 

Problème N° 3

On dissout un polymère inconnu dans du tétrachlorure de carbone de densité d = 1 594 k/m3.  On observe à 20 °C les mesures rapportées dans le tableau ci-inclus.

P (cm de CCl4) 0,40 1,00 1,80 2,80
C (g/cm3) 0,002 00 0,004 00 0,006 00 0,008 00

Quelle est la masse molaire du polymère ?

 

Problème N° 4

À la température de 25 °C et à la longueur d’onde de 546,1 nm, la diffusion de la lumière à travers une solution aqueuse de sucrose permet d’obtenir les résultats suivant :

 

C (kg/m3) 35,2 61,4 106 163
HC/t 2,84 10-3 2,91 10-3 3,08 10-3 3,32 10-3

 

Si pour ce sucre les coefficients a et b sont respectivement égaux à 1,00 et 0,935, calculez la masse molaire du sucrose et comparez cette valeur à sa valeur réelle : 342 g/mole.

 

Problème N° 5

À la température de 25 °C et à la longueur d’onde de 435,8 nm, la diffusion de la lumière à travers une solution de polystyrène dans du toluène permet d’obtenir les résultats suivant :

C (kg/m3) 0,750 1,670 3,33 5,70
HC/t 2,94 10-6 3,51 10-6 4,87 10-6 6,27 10-6

Si pour ce sucre les coefficients a et b sont respectivement égaux à 1,248 et 0,970, calculez la masse molaire du polystyrène.

 Réponse :   M  =  5,0 105  g/mole

Problème N° 6

À la température de 25 °C et à la longueur d’onde de 435,8 nm, l’indice de réfraction n du sucrose en solution aqueuse peut être représenté par l’équation :

n =  1,3397 + 0,1453 C – 0,002 65 C2

C est la concentration exprimée en kg/m3.  Calculez la valeur de H (équation 11.6) pour une solution contenant 100 kg/m3.  Quelle est l’unité de H ?

  Réponse :  H  =  5,85 10-6 mol  kg-2 m+2

 

Dernière mise à jour : 2015-04-06.

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