Albine au poitrail

EXTRAITS DE JOURNAL

Fin février

= La soirée d’hier me laisse un peu sur ma soif. Toutes ces filles étaient gentilles, jeunes, amusées, rieuses, mais il aurait fallu aller plus loin et un certain complexe d’ancêtre me paralysait. Je n’en garde aucun résidu utile. L’âge où l’on moissonne, où l’on ne peut, au mieux, que jouir des heures sans espérer dans le futur, est bien le mien… Cette petite Albine avait des mains extraordinairement douces. Il est peu probable qu’elle n’ait trouvé l’archet qui sait jouer d’elle…

= Un instant de trouble charmant, inattendu, quand, immobilisée devant mon fauteuil, j’ai mesuré entre mes doigts la minceur de sa taille… Elle restait là, debout, comme une herbe flexible…

Début de mars

= Soirée qui me laisse une impression désagréable. J’y retrouve d’abord cette tendance congénitale, et qui m’a poursuivi toute ma vie, à ne pas profiter de mes avantages et pousser l’action. D’autre part une déplorable indifférence me paralysait ainsi que la vague satisfaction éprouvée dès le début, dès la veille puis-je même dire, en décidant in petto de rentrer coucher chez moi tout seul ce soir-là. Enfin, à la suite d’une crise récente de foie, je buvais peu et restais d’un sang-froid navrant…

Après, je fus heureux de ma solitude. Il a fallu attendre le lendemain pour trouver le regret et me dire que, si j’étais incapable de profiter d’occasions de ce genre, il ne me restait plus qu’à me retirer sous le couvercle de la bière. En sorte que, point follement agréable pendant (à cause de la conversation à soutenir), désagréable après (à cause des regrets de la vanité), cette aventure n’a plus rien pour elle, et l’idée de la poursuivre est une folie…

[Albine. Le soir où je l’ai emmenée à Port-Royal (13 mars). Donc, il y a eu nettement offre de sa part avant l’aventure des Platanes qui devait suivre.]*

= Le plus troublant dans la mémoire est la jolie combinaison qui avouait…

(*) Les passages entre crochets, écrits d’une autre encre, ont été visiblement rajoutés sur le manuscrit, au cours de lectures ultérieures.

(Albine au poitrail, p.7-8)

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