La croisière indécise

Un serpent qui se mord la queue compose l’image pleine d’un cercle. Mais il est fatigant d’avoir la bouche ouverte sur une queue mordue. Il arrive alors que ce serpent, tenté par la gazelle offerte, abandonne l’unité de sa figure, se délace, et laissant librement jouer ses vertèbres, avance la gueule vers la proie.

Il pénétra dans le hall d’hôtel, comme on plonge dans le frigidarium. Avec sa carte disparurent les fesses galonnées du chasseur, et, au bout de quelques minutes, le même de face vint prier Monsieur de le suivre au nº 333. Fiacre entra et attendit.

Il était ennuyé sans valable raison apparente. Le ciel était moins bleu qu’il n’aurait dû l’être, mais le gris n’est pas une vilaine couleur.

La porte s’ouvrit : Hélène.

— Bonjour. Rasseyez-vous. Vous avez une jolie cravate. Voici pourquoi je vous ai demandé de venir. Nous nous sommes rencontrés, vous ne m’avez pas été présenté, mais on m’a parlé de vous. La réciproque doit être vraie?

Fiacre dit oui en cherchant discrètement une glace où voir l’effet produit par sa cravate.

— Bien. Vous devez être au courant de ma situation, comme je sais que vous végétez. Vous n’êtes pas mal physiquement. Votre tête me plaît. Vous êtes suffisamment jeune pour que cette impression puisse persister, si l’on vous regarde, à huit heures du matin, ouvrir les yeux sur l’oreiller. Votre degré d’intelligence m’est entièrement indifférent. D’ailleurs, vous savez choisir vos cravates, ce qui est largement suffisant pour un homme.

(La croisière indécise, p. 9-10.)

© Gallimard

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