Le vent du monde

[extrait de Le vent du monde]

Devenu, sous le nom d’Habinoir, introducteur des aspects possibles de l’existence, le ci-devant Chapitre premier entraîna Ictère dans les salons d’une certaine Philippine.

À la maîtresse de maison, l’obligatoire couplet :

Majestueuse beauté, je voudrais pouvoir m’agenouiller dans la paille luxueuse de votre crèche, pour renouveler à votre intention de célèbres hommages… Mais vous pensez peut-être que je suis moins un mage qu’un enfant.

Restez-le, chérubin.

Au contraire, j’ai des envies furieuses de prendre la vie à pleins bras, de la secouer comme un figuier, pour que les fruits en tombent, et pour le seul plaisir de les voir à terre, car je n’aime pas plus les figues que les personnages qui vous entourent…

En effet, non loin d’eux, pérorait le Voyageur :

Ah! Mesdames, si vous saviez la joie que l’on ressent à connaître le monde. Le monde n’est pour vous que cette petite boule… (La platitude de la montre du voyageur était équilibrée au bout de son ruban noir, par une mappemonde en réduction)… petite boule couverte de noms que vos lectures peut-être entourent d’un décor. Mais les bibliothèques n’éclairent le monde qu’à la chandelle, les voyages l’illuminent à l’électricité. Pour moi, cette sphère étincelle comme sa plus grosse sœur au-devant d’un café. Au hasard, Mesdames, je prends au hasard.

Et assurant son monocle comme une loupe d’horloger, penché sur la breloque ridicule, le Voyageur, ancien camelot, fit semblant de déchiffrer :

Soultanabad! Des montagnes où broûtent des ânons, perles grises parmi les neiges. Plus bas, de lourdes femmes au bras levé sur l’amphore…

Cependant, le Professeur au Museum, peut-être membre de l’Institut, toujours à la recherche de ses yeux naïfs perdus dans sa face poilue et ses binocles en fil de fer, s’approchait de Philippine comme une taupe silencieuse.

(Le vent du monde, p. 45-47)

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