Poème en prose

LE DONNEUR DE PROMENADES

Délicieuse à mon âme devient ma propre ivresse. Je rayonne par tous mes cheveux. Soigneux de mes distractions, j’englue d’une salive lyrique d’infinis palais de paroles qui montent à la cheville des étoiles. Tous les gosiers du monde sont les voix de mon chœur. Coryphée diligent, homme-orchestre des mots, je cueille d’une baguette rapide mes désirs instantanés. Toutes les cases du jeu de cube acceptent mon intervention brouillonne. Je redécouvre le chaos, où gisait la vérité.

Le verbe fond sur ma langue pour appeler en abondance ma salive, pour approvisionner grassement mes crachats. J’étoile de ces eaux, distillées avec hâte, un décor languissant. Je le rajeunis à grands coups de langue. Tous les portants sont revernis. Voyez, je suis une étoile au miroir. Tout brille. Moi seul emplis le monde et je me perds entre tant de mes figures.

Me voilà derviche tourneur de toutes les célestes mécaniques. J’ai pris le cercle par tous les bouts. Merveilleuse façon de le parcourir : ô stupeur! il n’a plus de centre. J’en fais les roulettes de mon char. Confortablement voituré, je vais sur des coussins moelleux. Le mouvement perpétuel s’attelle à ma fortune et je sens divinement mon éternité naître du balancement qu’est devenu mon moi.

Adieu! je suis la comète qui salue d’un coup de robe à traine. Je brûle les stations. Mes voies couvrent l’espace; elle n’ont cesse ni fin, elle ouvrent sur l’infini. L’éther bourdonne à mes oreilles. Rien ne compte. Mes sillages hachent l’univers. On voit le jour comme dans une écumoire. Ah! que l’on respire! Dans mes bras, ma dynamite!… Voyez donc ma belle trainée qui fait l’amour avec le monde.

(La Revue nouvelle, numéro 57, mai 1930, p. 32)

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