CHICOUTIMI (FSTG) – L’équation populaire « exploitation forestière = population animale en danger et en diminution » ne se vérifie pas dans la réalité quotidienne de la forêt boréale québécoise.
C’est du moins un constat que dresse Jacques Ibarzabal, professeur-chercheur spécialisé en faune terrestre et ailée au sein du Groupe de recherche en ressources renouvelables en milieu boréal (GR3MB) de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Ses multiples travaux en la matière l’amènent à émettre un bémol à cette perception populaire. L’industrie forestière ne fait pas baisser, de façon notable, les niveaux de population des diverses espèces fauniques croit-il!
Ce qui ne veut toutefois pas dire que l’exploitation de la forêt n’a aucun effet et ne pose pas de défi aux chercheurs qui étudient tout ce qui vit à travers les arbres.
« Malgré les croyances populaires, il ne semble pas y avoir d’espèces en danger de disparition ou de grandes baisses de population qui soient directement liées à l’exploitation forestière. Par contre, nous devons quand même faire face à un défi que nous pose cette industrie. Il nous faut déterminer les caractéristiques des diverses espèces afin de connaître leur besoin, leur mode de vie, leur palette d’alimentation », explique M. Ibarzabal.
Il explique que la maîtrise de ces éléments s’avère importante notamment au moment de décider des mesures à prendre pour encadrer l’industrie forestière.
« On sait que l’exploitation a souvent pour effet de rajeunir les arbres sur certaines superficies. La loi oblige de laisser à certains autres endroits bien précis des bandes de forêt intactes. Nous devons connaître les habitudes des populations animales afin de savoir quels impacts ont les forêts jeunes sur des animaux vivant normalement en milieu mature et savoir si celles-ci peuvent vivre dans les bandes », précise le chercheur.
De même, Jacques Ibarzabal souligne que les recherches menées en ce sens pourraient déjà remettre en question des habitudes fortement enracinées, entre autres la grande ruée sur le bois brûlé par les feux de forêt. Il se base, pour ce faire, sur des études qu’il a menées sur les populations de pics à dos noir, des oiseaux qui se repaissent des insectes qui eux se nichent dans le bois calciné.
« Actuellement, les lois exigent que l’on récolte ce bois très rapidement. Il est considéré comme de la ressource perdue. Pourtant, les insectes qui se reproduisent dans ce bois, pas vraiment mort, entrent dans la chaîne alimentaire des pics. En ramassant tout le bois très vite, on risque peut-être de nuire à cette population d’oiseau en lui retirant son garde-manger. Mais comme l’insecte peut aussi se reproduire dans la forêt non-brûlée, peut-être que la récolte de bois calciné n’a pas d’impact. Il faut faire ce genre d’études », nuance-t-il.
Malgré ce bémol, M. Ibarzabal ne pense pas que l’exploitation forestière ne cause pas actuellement un tort irréparable à la forêt boréale du Québec.
« Il y a encore de la recherche à faire, mais je crois que l’on peut dire qu’au pire, cette industrie, combinée aux autres facteurs naturels comme les épidémies d’insectes et les feux de forêt entraînent plutôt des déplacements et des rotations de populations animales. Il ne faut pas oublier que l’exploitation forestière ne crée pas de champ comme l’agriculture. Elle permet et vise la recréation de l’habitat forestier et de la ressource », dit-il.
CHICOUTIMI (FSTG) – « Il n’y a pas de biologiste qui travaille dans la plupart des compagnies forestières ou qui travaille dans l’élaboration des plans de coupe et d’exploitation de la ressource ».
Cette affirmation provient de chercheurs, membres du Groupe de recherche sur les ressources renouvelables en milieu boréal (GR3MB) de l’Université du Québec à Chicoutimi. (UQAC). Et selon Pascal Sirois, professeur-chercheur spécialisé en faune aquatique au sein du Groupe, cela mène à des applications mur à mur de concepts et de plans qui ne s’avèrent pas du tout adaptés à la diversité des espèces et des milieux de la forêt boréale.
Pascal Sirois prend exemple sur la question de l’impact de la déforestation près des cours d’eau pour défendre son opinion. Selon lui, il est acquis par les ingénieurs forestiers et les gens qui travaillent sur le terrain que l’activité forestière, parce qu’elle dénude les sols et favorise le ruissellement de l’eau de pluie, entraîne un réchauffement marqué des cours d’eau et un ensablement des frayères où pondent plusieurs espèces de poisson.
« Ce constat est vrai dans le cas des rivières, mais il ne l’est pas dans le cas des lacs. Or, on applique cette théorie mur à mur aux rivières et aux lacs sans distinction. Nos études tendent à démontrer que l’activité forestière ne cause pas un réchauffement de l’eau des lacs. De même, l’apport supplémentaire de sédiments ne semble pas causer, toujours selon les études que nous menons en ce moment, d’impacts importants sur les populations de poissons qui vivent dans les lacs, comme la perchaude », explique-t-il.
En fait, selon les résultats préliminaires recueillis par le chercheur, l’arrivée dans les lacs de plus de sédiments pourrait favoriser le développement de plancton et d’insectes, nourriture des poissons, et avoir plutôt des impacts positifs.
« Nous croyons que l’impact de l’industrie forestière sur les lacs s’avère probablement neutre ou encore qu’elle a des effets légèrement positifs sur la croissance et la taille de certaines espèces de poisson autres que les salmonidés », dit M. Sirois.
Une conclusion qui pourrait donc entraîner des changements à la façon actuelle d’exploiter la forêt. Selon les résultats définitifs de l’étude, on pourrait ainsi remettre en question l’utilité de la bande d’arbres obligatoirement laissée autour des lacs, car celle-ci empêche peut-être un apport périodique important en sédiments comme le font parfois les feux de forêt qui eux ne laissent pas de bandes.
« Il faut attendre d’avoir les conclusions finales des études. Si on laisse trop de sédiments entrer dans les lacs, on risque de favoriser le développement de trop de plancton et d’étouffer les poissons. Ce qu’il faut comprendre présentement, c’est qu’il existe beaucoup de nuances à apporter à la manière avec laquelle on exploite la forêt. Il existe d’énormes différences entre les milieux et les écosystèmes de notre territoire. On ne peut pas transposer les plans de coupe en bloc d’un endroit à l’autre. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les bassins versants, le nôtre est très différent et ne nécessite pas les mêmes mesures », mentionne Pascal Sirois.
D’où l’importance, selon lui, que des biologistes participent à l’élaboration des plans d’exploitation forestière propres à chaque milieu …