Chronique

« Cynisme ambiant. De plus en plus, on prend l’électeur moyen pour un parfait imbécile »

Geneviève Nootens est professeure de science politique à l'Université du Québec à Chicoutimi. Elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la démocratie et la souveraineté.
La campagne actuelle ne fera certes rien pour diminuer le cynisme des électeurs devant la classe politique. On vante le développement durable à Montréal, pendant qu’on s’engage envers l’industrie (américaine) de l’automobile dans le sud de l’Ontario. On attribue sans sourciller un « petit accent naziste (sic) » à un chef de parti enthousiaste à l’idée de remporter encore plus de sièges au Québec, alors qu’on partage le même objectif. On nie le déséquilibre fiscal, pour soutenir l’argument (oh combien enlevant!) que le Québec ne s’en sortirait pas économiquement s’il était indépendant. On doute de l’utilisation que feraient les citoyens des fonds qui leur seraient versés en lieu et place d’un programme national de garderies, alors qu’on détourne l’argent des contribuables. On propose plans Marshall et milliards, en donnant l’impression que seul l’argent est en jeu. Les débats de fond sont ultimement évacués, au profit d’une campagne publicitaire négative.

Bref, on prend l’électeur moyen pour un parfait imbécile. Et devant de telles manifestations de « grandeur », il faut admettre que le cynisme apparaît plutôt comme un signe d’intelligence. Le problème, c’est que ce cynisme entraîne un désengagement qui, lui, peut être fatal pour notre démocratie.

Il est incontestable que ce n’est pas à l’occasion des campagnes électorales qu’ont lieu les grands débats d’idées, et surtout au Canada: avez-vous entendu parler dernièrement de véritable fédéralisme, de pauvreté, d’aide internationale (sauf dans la bouche de Bono)? Mais le vote demeure un élément très important de la vie démocratique. Ce n’est évidemment pas le seul, puisque sinon la vie démocratique serait bien mince; les citoyens sont en droit de demander quotidiennement des comptes à leurs élus, de se faire entendre, de participer à des forums et associations pour faire valoir leur point de vue. Mais le choix de ceux qui dirigeront le pays pour quelques années (en principe) demeure néanmoins un moment fondamental. Même en l’absence de débats plus relevés, le fait de voter doit être pris au sérieux. Même si on croit qu’on ne « gagnera pas ses élections ».

Car être du côté du vainqueur n’est pas la seule chose qui compte. On oublie souvent, en effet, l’importance du rôle de l’opposition, en démocratie. D’une part, une opposition solide, structurée, organisée, est fondamentale: elle contribue à assurer une plus grande transparence et à accroître l’imputabilité des élus. La performance lamentable du Parti québécois dans son rôle d’opposition officielle à Québec, ces derniers mois, devrait suffire à nous en convaincre.

D’autre part, ceux qui sont élus gouvernent tous leurs concitoyens, pas seulement ceux qui ont voté pour eux. À cet égard, l’expression du vote permet à ceux qui gouvernent de mesurer l’ampleur de leur victoire et, par conséquent, de l’opposition à cette victoire parmi la population. D’où l’importance d’aller voter, ne fut-ce que pour manifester son opposition
(quitte, même, à annuler son vote).

Le jour du scrutin, chaque électeur décidera qui mérite le plus son appui. Chacun le fera à la fois en fonction de ses intérêts personnels, égoïstes peut-être, et de considérations sociales plus larges. C’est donc aussi au regard de ce que nous proposent les partis comme visions de la société que nous devrons décider. Ces visions peuvent dans certains cas ne pas sembler
très riches, actuellement.

C’est à l’électeur de départager les manœuvres électoralistes des véritables raisons d’appuyer un ou l’autre des partis en lice: qui défend le mieux la vision du (ou des!) pays qui lui apparaît viable et souhaitable? Qui est capable de faire face aux défis posés par les menaces qui planent sur l’environnement et par les repositionnements économiques imposés par la libéralisation accrue des marchés? Qui peut nous donner une marge de manœuvre face au protectionnisme de notre principal partenaire commercial? Qui est capable de parvenir à l’équilibre délicat entre respect des droits individuels et sécurité? Qui est digne de nous représenter, comme communauté(s)?

Nous n’aurons certes pas tous la même réponse, le 23 janvier. Ce qui est important, c’est de ne pas céder à la tentation de nous laisser porter par des discours simplistes, et de démontrer que nous savons faire la part des choses. Nous sommes en droit d’exiger des propositions sérieuses, et des réponses nuancées, de la part de ceux qui prétendent à nous représenter dans l’exercice d’une fonction extrêmement importante: celle de décider des lois qui gouvernent la communauté des citoyens. Il serait dommage que le cynisme nous empêche de participer à cette décision et laisse croire à certains qu’après tout, on peut faire avaler n’importe quoi à l’électeur, pourvu qu’on lui promette de l’argent.

Geneviève Nootens

La chronique « Québec grand angle » a été publiée dans les pages «Forum» de La Presse du 17 décembre 2005.

Ce texte a été reproduit avec l’aimable autorisation du journal La Presse.