Un appartement intelligent pour aider les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer? Une équipe de chercheurs du Saguenay pousse le concept très loin afin de favoriser le maintien à domicile des aînés.
La dernière chose que l’on souhaite à 75 ou 80 ans, c’est quitter sa maison. C’est très fort, l’attachement à son chez-soi; surtout lorsqu’on est malade. » Ce n’est pas un grand-père qui dit cela, mais Bruno Bouchard, un jeune chercheur en informatique, qui s’intéresse aux besoins des personnes en perte d’autonomie.
Plus la vie avance, plus les photos sur les murs, les bibelots sur les étagères, les meubles qui font depuis longtemps partie de notre petit théâtre quotidien prennent de l’importance. Home sweet home ! Mais la vie domestique a des exigences – le ménage, le lavage, la cuisine – qui peuvent peser lourd sur des personnes âgées aux prises avec des problèmes de santé.
Tenir maison ? « Dans 20 ans, c’est près de un quart de million de personnes qui auront besoin, au Québec, d’une assistance à domicile », rappelle Bruno Bouchard. Cette estimation rejoint celle des Sociétés Alzheimer du Québec qui craignent que notre système de santé ne puisse répondre à ce grand défi. Déjà, les « aidants naturels », comme les appellent les gestionnaires, assument 80 % des soins à domicile que requièrent ces personnes âgées.
Si les médecins et les chercheurs misent sur une meilleure connaissance des troubles dégénératifs, ainsi que sur de nouveaux médicaments, les ingénieurs planchent sur des solutions technologiques et informatiques qui transformeraient les logements des aînés.
Bruno Bouchard, lui, dirige le Laboratoire d’intelligence ambiante pour la reconnaissance d’activité (LIARA), à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). « Une maison intelligente – ou un smart home, comme disent les anglophones – favoriserait beaucoup le maintien à domicile », dit-il.
Une personne qui vit seule et qui a des problèmes cognitifs peut être confrontée à de fâcheux accidents : une chute, un dégât d’eau (qui peut survenir quand on a oublié de fermer un robinet) ou un incendie (provoqué par un rond de cuisinière resté allumé ou une cigarette oubliée). « Les personnes âgées ne peuvent pas penser à tout. Et une maison adaptée peut être d’un grand secours pour elles », assure Bruno Bouchard.
C’est lors de ses études avancées en domotique à l’Université de Sherbrooke, puis à l’université de Toronto, qu’il a eu l’idée de développer un habitat adapté aux personnes en perte d’autonomie. Embauché comme professeur à l’UQAC, en 2008 – il avait alors 28 ans –, il pousse son idée plus loin avec la complicité de la neuropsychologue Julie Bouchard et de son ancien professeur et informaticien Abdenour Bouzouane.
Trois ans plus tard, le premier prototype d’appartement intelligent est construit au troisième étage du pavillon principal de l’UQAC. Cet appartement-laboratoire est fonctionnel, sans être particulièrement chaleureux; il est un peu froid, même. Il s’agit d’un studio doté d’une cuisine, d’un petit salon, d’un espace pour dormir et d’une grande salle de bain. « Ça n’a l’air de rien, mais il y a des capteurs partout; dans le tapis, dans les dalles du plafond, sur les murs », précise le chercheur. Ces capteurs peuvent lire le mouvement de tous les objets, car ces objets sont munis de « marqueurs » ou tags. Madame se prépare un thé ? Les capteurs perçoivent qu’une tasse et qu’une théière sont sorties de l’armoire, qu’un rond de cuisinière est allumé pour faire bouillir l’eau, qu’un paquet de biscuits est déposé sur la table. Monsieur bute malencontreusement sur un tabouret mal placé et tombe ? Des capteurs détectent la chute et envoient un message afin que des secours arrivent.
En ouvrant un placard de son appartement laboratoire, Bruno Bouchard dévoile le centre névralgique de cette maison futée. « C’est le cerveau-serveur », dit-il en désignant des boîtes reliées les unes aux autres par de nombreux fils, un peu comme un système de son. Ces fils sont l’équivalent des neurones de la maison. Ils transmettent les informations provenant des capteurs pour les relayer au « cerveau ». Mais c’est plus subtil que cela car, pour bien interpréter les informations, ce cortex artificiel doit bien connaître Madame ou Monsieur. Il doit comprendre sa routine quotidienne et son comportement; comment la personne se fait à manger; le temps qu’il lui faut pour compléter sa toilette; le moment où elle prend ses médicaments, etc. Le système pourra alors détecter ce qui sort de la normale. « C’est grâce à des algorithmes de reconnaissance d’activité que l’on peut extraire les patterns normaux et anormaux », dit M. Bouchard. Pour les établir, on observe les gens dans leur environnement, puis on programme les algorithmes selon leurs habitudes. « On a observé des différences notables, explique-t-il, selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme, d’une personne intellectuelle ou manuelle, etc. » Le mouvement des objets peut être suivi sur une tablette numérique par un parent ou un ami proche.
Un peu « Big Brother » tout ça ? « Il n’y a là rien d’intrusif, assure Bruno Bouchard. Il n’y a pas de caméra, pas de microphone. L’idée, c’est vraiment de suivre les mouvements de la personne pour lui porter assistance en cas de problème. » Le « cerveau » est connecté à une panoplie d’appareils qui relaient, le cas échéant, des avertissements ou des messages destinés au résidant lui-même. Dans le jargon des domoticiens, on appelle ça des « effecteurs ». Ainsi, un téléviseur peut rappeler au distrait, en plein milieu de son émission favorite, qu’il a oublié de fermer le robinet.
Les chercheurs du LIARA, dont une dizaine d’étudiants, travaillent actuellement à calibrer ce système domotique pour qu’il puisse être installé dans un logement où vit une personne seule, dans un appartement adapté ou encore dans des logements de centres d’hébergement. Au Saguenay, le projet a retenu l’attention de la Société Alzheimer de la Sagamie et de la Coopérative de solidarité en aide domestique de Saint-Félicien. « Un des grands avantages, en région, c’est que, lorsque l’idée est bonne, les gens sont avec toi », reconnaît l’informaticien. Au Saguenay, il n’y a pas seulement de l’aluminium!
Source :
Affaires publiques
Université du Québec