Un texte de Marie Fall, Ph. D. , professeure agrégée au Département des sciences humaines et sociales de l’UQAC
À la vue des commandes colossales de vaccins contre la Covid-19 passées par les pays développés auprès des grandes firmes pharmaceutiques, certains pays en développement n’ont d’autre choix que d’attendre une mobilisation internationale pour un accès aux vaccins. Par exemple, le Canada aurait acheté de quoi vacciner cinq fois sa population ; les États-Unis quatre fois ; et l’Union européenne trois fois. Selon le Global Health Innovation Center (GHIC) de l’université Duke, cette situation aboutit à une réduction du gâteau pour les pays pauvres ou à revenus intermédiaires, alors que les modèles nous montrent qu’il n’y aura pas assez de vaccins pour couvrir la population mondiale avant 2023-2024. D’ailleurs, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa fustigeait les pays riches qui « accaparent » les vaccins anti-Covid et les mettait en garde contre tout « nationalisme » dans les stratégies d’acquisition des précieuses doses. Des mouvements de la société civile comme Human Rights Watch ont aussi fait campagne pour un accès aux vaccins pour les pays les plus pauvres.
La bataille s’annonce rude malgré les initiatives AVATT (African Vaccine Acquisition Task Team) et COVAX (Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la COVID-19 (Accélérateur ACT), la production de produits de diagnostic, de traitements et de vaccins contre la COVID-19) pour un accès équitable aux vaccins.
En Occident l’imaginaire populaire accepte généralement les vertus de la vaccination contre la COVID-19 pour garder la vie sauve. Les campagnes de vaccination y ont commencé avec une rigueur dans l’organisation et une équité pour les bénéficiaires. Au Sénégal, pays d’Afrique de l’Ouest, la réalité est différente. Une partie de la population ne croit pas en l’existence de la COVID-19. Une autre partie est dans le déni total. Les gens vaquent à leurs occupations sans vraiment respecter les mesures barrières. Les bus et les lieux publics sont encore et toujours investis par des masses populaires. Quand on circule dans certains quartiers de Dakar, on se croirait sur une autre planète. Vraisemblablement, la COVID n’est pas omniprésente au pays de la Téranga. Le virus ne doit pas être aussi virulent ; à moins que la population ait développé une immunité collective.
Le Sénégal, à l’instar de plusieurs pays en développement, fait face à de multiples défis pour avoir accès à assez de vaccins pour toute sa population estimée à 15 millions de personnes. Des initiatives sont prises par le gouvernement sénégalais à travers une stratégie nationale de vaccination et la nécessité d’en faire la promotion. Cependant, aucune donnée n’est disponible quant au pourcentage de la population en faveur ou non de la vaccination. Globalement on perçoit un rejet généralisé. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. Selon nos deux collègues sociologues, il y a des éléments historiques et des éléments qui ressortent plus de la psyché des Africains. Dans le rapport historique aux vaccins, la colonisation occidentale a été à l’origine d’usages extrêmement nocifs. Les Africains ont été des cobayes pour tester certains vaccins. Ils suspectent que les vaccins servent à autre chose qu’enrayer la COVID-19. Cette perception négative est restée dans la psyché et le subconscient de plusieurs Sénégalais. D’ailleurs, ils se demandent pourquoi l’État investirait autant de moyens et de ressources pour une maladie qui a des conséquences moindres sur l’ensemble de la population. Le bilan affiché de la COVID-19 étant moins dramatique dans ce pays comparé à d’autres.
Pour la population en général, le Sénégal a d’autres priorités dont, entre autres, la lutte contre la pauvreté omniprésente. Si l’État veut accéder aux vaccins par ses propres moyens, c’est presque le quart du budget national qui sera mobilisé pour les acheter au prix du marché. Heureusement, les initiatives AVATT et COVAX soutenues par plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, permettent un accès aux vaccins à moindre coût pour des pays comme le Sénégal. Parallèlement, l’État sénégalais a contracté avec des firmes pharmaceutiques pour l’acquisition de vaccins.
La situation est paradoxale. Les croyances populaires de certains groupes vont à l’encontre de la vaccination. D’un côté, les antivaccins qui, pour toutes sortes de raisons (religieuses, culturelles), rejettent les vertus de la vaccination et s’organisent pour relayer des suspicions de toutes sortes (cobayes, infertilité, etc.). De l’autre, les sceptiques qui pensent à un agenda caché de l’Occident. La vaccination serait faite à des fins capitalistes pour enrichir les lobbys pharmaceutiques. D’ailleurs, une partie de la population sénégalaise dit ne pas savoir pas ce qu’il y a réellement dans les vaccins ; elles soupçonnent le mobile qui consiste à freiner la démographie africaine. Alors, l’État sénégalais se heurte à l’obscurantisme, l’ignorance et la propagande qui amènent beaucoup de blocages, de résistances et de méfiances vis-à-vis les vaccins contre la COVID-19. Ce qui amène le désordre observé dans la promotion et l’administration du vaccin. D’ailleurs, il est ironique d’entendre le ministre sénégalais de la Santé et de l’action sociale scander : « Le vaccin ne tue pas ! Il nous protège d’une maladie qui tue ! » Il est tout aussi ironique d’entendre les médias répéter à longueur de journée les vertus de la vaccination à une population qui n’a pas été sensibilisée comme il faut sur les risques de contracter la COVID-19.
Alors qu’en Occident les personnes qui doivent recevoir les vaccins sont classées par ordre de priorité selon l’âge, la profession (services essentiels) et l’état de santé ; au Sénégal, rien ne semble indiquer de manière claire et objective qui a droit au vaccin ou pas. Les leaders politiques, les guides religieux, les députés, les personnalités publiques influentes y compris les lutteurs professionnels, les vedettes des médias, les artistes, quels que soient leurs âges, ont été les premiers à se faire vacciner contre la COVID-19 pour « donner l’exemple ». Alors que les premières doses de vaccins ont été obtenues de peine et de misère et que les prochaines doses restent incertaines, l’accès au sésame est pour le moment réservé aux VIP. L’inquiétude augmente au sein de la population qui se voit reléguée au second plan. Les méthodes d’inscription dans les registres sont inadaptées à la réalité sénégalaise. Comment peut-on inviter les personnes âgées à s’inscrire dans des plateformes numériques sachant que la grande majorité d’entre elles est analphabète et n’a pas accès à un ordinateur ni à l’internet ?
En fin, selon un journaliste, les 200 000 premières doses réceptionnées en février 2021 ont été achetées à la Chine par l’État du Sénégal qui a annoncé que les prochains vaccins sont attendus pour le trimestre à venir. Lors du Forum de partage sur la vaccination contre la COVID-19, le Comité consultatif pour la Vaccination et les Vaccins au Sénégal (CCVS) en partenariat avec la Direction de la Prévention du Ministère de la Santé et de l’Action sociale a publié des données faisant état de plus de 3 millions de Sénégalais qui bénéficieront des vaccins dans les prochains mois.