CHAPITRE 9

 

Les équilibres à plusieurs phases

 

 

Préambule - objectif

On a déjà abordé dans les deux chapitres précédents des systèmes composés d’au moins deux phases.  C’est le cas des équilibres entre une phase liquide et la vapeur d’un même corps pur (Chapitre 4.3.1.).  C’étaitaussi le cas des solutions diluées en équilibre avec leur phase vapeur (Chapitre 8).  Il est venu le temps d’aborder les équilibres entre trois phases et parfois plusieurs phases d'un même corps pur.

     Question:  Quelle loi est applicable à ces systmes au moins dans le cas d'un corps pur?

     Objectif: connaître et comprendre la règle des phases. 

 

 

 

1. Quelques rappels de définitions

1.1.      Équilibre vrai

Un système en véritable équilibre peut être atteint par deux chemins différents.  C’est le cas des processus de fusion et de son contraire la solidification, de la vaporisation et de son contraire la liquéfaction…  Ces équilibres peuvent être atteints soit par augmentation de la température (fusion et vaporisation), soit par diminution de la température (solidification et liquéfaction.

On montre en thermodynamique que pour un équilibre vrai, l’énergie du système (l’énergie potentielle) est minimum.

 

1.2.      État métastable

Dans des conditions spéciales, on peut obtenir des états qui ne sont pas dans un état stable, donc un  équilibre qui n’est pas vrai.  Par exemple, si on refroidit une eau très pure et exempte d’impuretés physiques, on peut abaisser la température de l’eau jusque vers – 8 °C sans observer de congélation : l’eau demeure liquide.  Si on lui ajoute un germe de cristallisation, on observe cette solidification qui survient de manière assez rapide.  Il s’agit bien souvent d’un phénomène de cinétique.  La vitesse de germination ou d’apparition du premier élément solide est lente devant le processus de refroidissement.

 

1.3.      Équilibre instable

Il se peut que le système prenne beaucoup de temps pour arriver à l’équilibre vrai.  Le système évolue si lentement que l’observateur ne voit pas de changement.  Par exemple, la dissolution d’un sel dans une solution aqueuse déjà chargée de ce sel, même si elle est encore loin d’être saturée.  C’est aussi le cas d’un mélange gazeux d’hydrogène et d’oxygène.  La réaction de formation de l’eau est extrêmement lente. 

H2 (gaz)  +  1/2 O2 (gaz)   ®   H2O (gaz)

Si des traces de catalyseur ou une flamme sont mis en contact avec le mélange gazeux ou si le récipient est soumis à un choc, la réaction devient violente (il y a explosion) et le système atteint son équilibre vrai : la vapeur d’eau.

 

1.4.      Nombre de composés

C’est le plus petit nombre de composés qu’il faut identifier pour définir un système.  Par exemple, le système eau est défini par un seul composé H2O.  Si le système contient à la fois du carbonate de calcium CaCO3, de la chaux vive CaO et du gaz carbonique CO2, le nombre de composés est 2.  En effet, ces trois constituants chimiques sont reliés par une équation chimique telle que :

CaCO3 (solide) CaO (solide)   +   CO2 (gaz)

Cet équilibre chimique est détermine par une constante d’équilibre K qui a la valeur de la pression partielle du gaz carbonique.

K  =  P(CO2)

On abordera plus en détail ces équilibres chimiques dans le cours de thermodynamique chimique (Chapitre 7.7).  De manière générale, on retiendra que le nombre de composés est égal au nombre de produits chimiques diminué du nombre de relations chimiques qui les relient.  Dans le cas du carbonate en équilibre avec son oxyde et le gaz carbonique, on a bien 3 produits chimiques et une relation qui les relie.  Le nombre de composés est donc égal à 3 – 1 = 2.

 

            La variance

La variance d’un système est le plus petit nombre de variable qu’il faut pour définir un système.  Ne pas oublier que ces variables incluent généralement les variables pression et température et les compositions pour les mélanges de produits.

 

2. La règle des phases

C’est la loi qui relie la variance, le nombre de composés et le nombre de phases.  Supposons que le système est composé d’un nombre F de phases dans lesquels ont trouve un nombre N de composés.  Dans une phase chaque composé a sa propre concentration.  Ainsi, dans la phase 1, F1, on a les concentrations C1, C2, …CN.  Cependant, comme la somme des compositions est nécessairement égale à l’unité, on a seulement  N – 1 concentrations indépendantes.  En d’autres termes, si l’on connaît N – 1 concentrations, la nième est automatiquement déterminée.  Comme il y a un nombre F de phases, il faut déterminer F (N – 1) concentrations pour connaître l’ensemble du système.  Il faut bien sûr ne pas oublier les variables température et pression.

Le nombre de variables d’un système qu’il faut connaître est donc :

F (N – 1) + 2  = nombre de variables.

En thermodynamique, on montre que la concentration du produit chimique 1 dans la phase 1 est liée à celle dans la phase 2, qui est elle-même liés à celle dans la phase 3, …  On obtient donc F – 1 relations thermodynamiques et cela pour chacun des N produits chimiques.  Globalement, le système est gouverné par un nombre N (F – 1) relations thermodynamiques auxquelles le système doit se soumettre pour être à l’équilibre.

La différence entre le nombre de variables établi plus haut et le nombre de relations thermodynamiques donne le nombre de paramètres réels qu’il faut préciser pour définir complètement un système à l’équilibre.  Cette différence s’appelle la variance du système u.

u  =  F (N – 1) + 2    F (P – 1)  =  N + 2 – F

9.1                                                        u  =  N + 2 – F

La variance d’un système est égale au nombre de composés chimiques augmenté de 2 unités pour la variable température et la pression et diminué du nombre de phases.

Il faut remarquer que si tous les produits chimiques sont sous forme condensée, c’est-à-dire que si la pression n’est pas vraiment un paramètre expérimental, la relation devient plutôt :

u  =  N + 1 – F

Alternativement, si le champ magnétique, par exemple, constituait un paramètre expérimental au même titre que la pression et la température, la variance du système serait alors :

u  =  N + 3 – F

 

3. Système à un composé

 

Soit par exemple l’eau.  Pour définir complètement ce système, regardons ce que dit la règle des phases (relation 9.1).  Ce système est constitué de 1 composé : N = 1.  Quant au nombre de phases, il y en a toujours au moins 1.  En effet, si l’eau est entièrement sous la forme vapeur, il n’y a à l’évidence qu’une seule phase.  Dans ce cas, l’application de la règle des phases donne :

u  =  N + 2 – F  =  1 + 2 – 1 = 2

Il y a deux paramètres à déterminer pour complètement définir le système : le système est bivariant.  À l’évidence, il faut préciser la température et la pression.  Dans le cas du solide et du liquide, ces phases sont toujours accompagnées d’une phase vapeur.  À nouveau l’application de la règle des phases indique que la variance est unitaire, le système est monovariant :

u  =  N + 2 – F  =  1 + 2 – 2 = 1

On ne doit plus préciser qu’un seul paramètre, la pression ou la température pour complètement définir le système.  Si la température est fixée, la pression de vapeur saturante en équilibre avec le solide ou avec le liquide est automatiquement déterminée.  On aura bien compris que le présent système est en fait un équilibre solide-gaz ou liquide-gaz. Le système se trouve soit sur la courbe de sublimation, soit sur la courbe de vaporisation.

On obtient les mêmes conclusions dans le cas de la courbe de fusion, l’équilibre entre les phases solide et liquide.

Finalement, dans le cas du point triple, là où l’on observe simultanément les trois phases solide, liquide et gazeuse en équilibre, l’application de la règle des phases donne :

u  =  N + 2 – F  =  1 + 2 – 3 = 0

Le système est alors invariant.  La température et la pression sont automatiquement déterminées par le système.  En d’autres termes le système se définit par lui-même. Il est impossible de modifier la localisation du point triple dans le diagramme pression température.  La figure 9.1 montre le cas du point triple de l’eau point triple situé à 0,098 °C et sous la pression de 4,58 mmHg (0,0061 bar).

 

Figure 9.1.  Localisation du point triple de l’eau.

 

L’exploration approfondie du diagramme pression – température de l’eau montre qu’il existe d’autres points triples.  En effet, on vient d’établir la correspondance entre la coexistence de trois phases, les phases solide, liquide et vapeur.  On observe des régions du diagramme où il existe plusieurs sortes de glace, de structures cristallines différentes, donc des phases différentes.  Le diagramme de l’eau montre ainsi l’existence de plusieurs variétés cristallines de glace (Fig. 9.2).  Ce diagramme sera vu plus en détail (il existe d’autres structures que seulement celles indiquées sur cette figure) dans le cours de Thermodynamique chimique, Chapitre 6.4.c, Fig. 6.3).

 

Figure 9.2.  Quelques points triples de l’eau.

 

Le cas du soufre est quelque peu similaire en ce qu’il permet de montrer l’existence de deux structures cristallines : le soufre rhombique et le soufre monoclinique.  Le diagramme pression – température montre la présence de 4 régions où l’on peut observer les phases liquides et vapeur de même que les deux phases solides.  On observe la présence de trois points triples dont les coordonnées sont aussi explicites sur la figure.  Ainsi, le point B est le point pression - température où les phases rhombique, monoclinique et la vapeur de soufre sont en équilibre.  Le point C est le point où coexistent les phases solide monoclinique, liquide et vapeur,…

 

 

Figure 9.3.  Le diagramme du soufre.

 

Les divers segments curvilignes de cette figure correspondent à des équilibres binaires.  Le segment AB correspond avec la sublimation du soufre rhombique ; le segment BC avec la sublimation du soufre monoclinique ; CD correspond à la vaporisation du soufre liquide ; etc., etc.

Le diagramme montre également une particularité du soufre.  En effet, si on augmente un peu rapidement la température au voisinage de la pression atmosphérique, la transition du soufre rhombique vers le soufre monoclinique à 95,5 °C ne se produit pas.  On atteint plutôt la fusion du soufre rhombique vers 114,5 °C.  L’équilibre de ce soufre rhombique avec la phase liquide est en fait un équilibre métastable.  Les courbes de sublimation AE et de fusion FE du soufre rhombique de même que la courbe de vaporisation ED forment le point triple E qui est bien sûr un point triple métastable.  Ces courbes en pointillé sur la figure 9.3 ont été observées expérimentalement.

Les segments BE, EC et EF représentent des équilibres binaires métastables.

 

4. Systèmes à plusieurs composés

Ils sont évidemment nombreux et surtout complexes.  Leur description de même que les lois qui les gouvernent seront nécessairement plus variées et complexes.  Leur présentation sera faite de manière plus systémique dans un cours de thermodynamique chimique, Chapitres 11 et suivants.

 

 

5.  Conclusions

 


Les équilibres entre plusieurs phases sont soumises à la règle des phases.  Pour un système donné, celle-ci stipule le nombre de variables indépendantes, le nombre de facteur, qu’il faut préciser pour que le système soit complètement déterminé.

Dan le cas des courbes de vaporisation, de fusion, de sublimation d’un composé pur, la précision d’un seul paramètre, la température par exemple, détermine complètement les autres conditions d’équilibre.  Ce sont des systèmes monovariants.

En outre, dans le cas d’un seul composé pur, l’équilibre entre trois phases n’existe qu’en un seul point du diagramme pression – température. Ce sont des systèmes invariants.

 

 

Pour en savoir plus

 

Dernière mise à jour : 2021-07-03.