CHAPITRE III

ROTATION PURE


Préambule / Objectifs

La molécule diatomique, la plus simple, peut tourner sur elle-même. Comment peut-on observer ce mouvement moléculaire ? Est-ce que l’application de la mécanique classique renseigne sur les lois qui gouvernent ce mouvement ? L’introduction de la mécanique quantique est-elle nécessaire ? Si oui, quelles en sont les conséquences sur l’interprétation des observations ?

Une molécule est un objet comme un autre.  Elle est donc susceptible de tourner sur elle-même, comme une toupie.  Voyons comment le mouvement de rotation s’exprime avec les molécules les plus simples, soit les molécules diatomiques.

 

Les molécules possèdent un autre type de mouvement interne : la vibration.  Ce mouvement sera étudié au chapitre 4.

 


3.1 Résultats expérimentaux

 

Lorsqu’on fait de l’absorption dans l’infrarouge lointain, au-delà de 30 mm, on observe pour une molécule donnée, une série de raies d’absorption à peu près équidistantes. Des spectres d’absorption analogues sont également observés dans la région des hyperfréquences (longueur d’onde dans la région de 0,2 à 2 mm). La position du spectre d’absorption dans l’échelle des longueurs d’onde dépend de la molécule étudiée. Plus la molécule est lourde, plus le spectre se trouve dans une région de grande longueur d'onde (Fig. 3.1.).

Figure 3.1. Spectre électromagnétique.

Nous étudierons maintenant la rotation d’une manière quantitative, en prenant comme exemple la molécule de chlorure d’hydrogène, HCl,  isolée comme c’est le cas en phase gazeuse.

La première colonne du tableau 3.1 présente, à titre d’exemple, les fréquences d’absorption (mesurées en nombre d’onde) observées pour la molécule HCl (gazeux). Le spectre de cette molécule se trouve dans le domaine infrarouge lointain accessible aux spectromètres infrarouges optiques.

Tableau 3.1. Fréquences d’absorption dans l’infrarouge lointain de HCl gazeux.

(cm-1) expérimental

D

Nombre entier

(cm-1) calculé

83,03

 

4

82,72

 

21,07

   

104,10

 

5

103,40

 

20,20

   

124,30

 

6

124,08

 

20,73

   

145,03

 

7

144,76

 

20,48

   

165,51

 

8

165,44

 

20,35

   

184,86

 

9

186,12

 

20,52

   

206,38

 

10

206,80

 

20,22

   

226,50

 

11

227,48

 

D représente la différence des nombres d’ondes de deux raies successives : elle se trouve à être à peu près constante. Nous considérerons les raies équidistantes en première approximation. Dans ces conditions l'énergie exprimée en nombre d’ondes est assez bien représentée par la formule :

   =  a m       soit     D   =  20,51  m     pour HCl

m est un nombre entier.

La dernière colonne de ce tableau donne les valeurs des fréquences d’absorption calculées à partir de cette formule pour des valeurs de m comprises entre 4 et 11.  On constate que ces valeurs calculées s’écartent peu (moins de 1 %) des données expérimentales.

Nous montrerons (section 3.5) que ce spectre peut être interprété comme une transformation de l’énergie électromagnétique absorbée en énergie de rotation. Notons que l’absorption n’est pas continue ; cela signifie que certains états énergétiques seulement sont possibles dans la rotation et que la molécule passe brusquement (par quanta) d’un état à l’autre. L’émission d’énergie par le même processus ne peut s’observer que si un très grand nombre de molécules émettrices sont présentes. C’est le cas en radio astronomie ou certains corps célestes qui émettent ce type de rayonnement (détecté par les radio télescopes) à partir des molécules diatomiques qui y sont présentes, révélant du même coup au moins une partie de leur composition.


3.2 Modèle mécanique - le rotateur rigide

Examinons un modèle mécanique simple d’une molécule diatomique, soit le rotateur rigide.  Soulignons que toute représentation d’un objet quantique comme une molécule à l’aide de modèles classiques tels que celui illustré à la figure 3.2, appelle à la prudence.  En effet, de tels modèles fournissent de ces objets une représentation utile (on dirait pédagogique) de leurs mouvements, mais cette représentation est toujours partielle, voire même inexacte.


Figure 3.2. Modèle mécanique du rotateur rigide.

 

En mécanique classique, un système isolé, c’est-à-dire non soumis à des forces externes, ne peut tourner d’un point appelé centre de masse.  La position de ce point est telle que la somme vectorielle des moments (le produit du vecteur position par la masse) de chacune des composantes du système, par rapport à ce point, est nulle.  

Selon ce modèle, chacun des deux atomes de masse m1 et m2 est supposé réduit à un point matériel, ce qui est sûrement une bonne approximation quand on se souvient (Voir le cours « Introduction à la physique atomique et nucléaire", Chapitre 1.2) que la quasi totalité de la masse d’un atome est concentrée dans son noyau qui est beaucoup plus petit que son nuage électronique  illustré sur la figure 3.2.  On néglige l’effet de la gravité de même que la masse des électrons.  On imagine également que les deux atomes sont liés de façon rigide, comme par une barre de masse négligeable.  

Avec ces hypothèse simplificatrices, la position du centre de masse d’une molécule diatomique est décrite par l’égalité suivante :

(3.1a)                                            m1 r1  =  m2 r2

Dans cette dernière équation,  r1 et r2 sont les distances respectives des atomes 1 et 2 au centre de masse.

Mais on a d'après la figure 3.2 :

r1  =  r  -  r2    et    r2  =  r  -  r1

Ce qui permet de récrire l’expression 3.1a des deux manières suivantes :

m1 r1  =  m2 (r  -  r1)     et     m2 r2  =  m1 (r  -  r2)

En réarrangeant ces deux dernières expressions, on obtient :

m1 r1  +  m2 r1  =  m2 r    et     m2 r2  +  m1 r2  =  m1 r

On en tire :

(3.1b)

En vertu de ces hypothèses, le seul moment d’inertie non nul est le moment par rapport à un axe  perpendiculaire, à l’axe internucléaire. La seule rotation que l’on doit considérer est donc celle qui s’effectue autour de cet axe et le  moment d’inertie, I, est donné par la relation suivante :

I   =   m1  r12  + m2 r22 

En substituant dans cette équation les expressions de  r1 et  de  r2   données en 3.1b, on obtient :

(3.1c)

 

Le symbole m est appelé la masse réduite de la molécule. 

Les relations 3.1c signifient que du point de vue mécanique, la molécule diatomique peut être étudiée comme un atome unique de masse m tournant autour d’un point situé à la distance fixe r égale à la distance internucléaire (Fig. 3.3).  

 


Figure 3.3. Équivalent mécanique du rotateur diatomique rigide.
Voir une animation en cliquant ici.

 

On peut envisager deux cas limites :

1- Les deux atomes ont une masse identique, m1 = m2 (cas des molécules homonucléaires).  Dans ce cas :

µ  =  m12/ 2 m1  =  m1/2,


2- Les deux atomes ont des masses très différentes, m1 << m2 (cas des hydrures métalliques). Ici la masse réduite tend vers la masse de l’atome le plus léger et :

µ  @  m1 m2 / m2  =  m1

On voit donc que dans tous les cas la masse réduite µ est telle que  m1/2 < µ <m1, elle est comprise entre la moitié et la valeur entière de la masse de l’atome le plus léger.  On peut aussi examiner l’influence relative de chacune des deux masses sur la position du centre de masse.  

1-       Si la molécule est homonucléaire, m1  =  m2 et  r1  =  r2.  La molécule tourne autour de son centre de symétrie : le centre de masse est situé au milieu de la liaison moléculaire. 

2-       Si au contraire l'un des atomes a une masse beaucoup plus petite que l'autre, disons m1 << m2, alors r1 >> r2  et tout se passe comme si la molécule tournait autour du centre de l'atome de plus grande masse.

Voyons maintenant comment exprimer mathématiquement la relation entre la vitesse de rotation, l’énergie et la masse réduite d’un rotateur rigide.

L’énergie du système est essentiellement son énergie cinétique, w étant la vitesse angulaire et ou la vitesse tangentielle : 

Erot   =  1/2 m u2

Mais comme m doit être identifié à m, et sachant que w, la vitesse angulaire, est égale à u/r, on peut écrire:

Þ                          Erot   =   1/2 m r2 w2  

Þ                          Erot   =   1/2 I w2

ou encore, comme le moment cinétique peut s’écrire :

P  =  I w .

L’énergie finalement s’exprime par :

(3.2)

En théorie classique, l’énergie du système peut prendre une valeur quelconque dépendant du moment cinétique, c’est-à-dire de la vitesse de rotation.


3.3 Traitement quantique du modèle mécanique

Le modèle mécanique classique ne permet pas d’aller plus loin et, en particulier, ne permet pas de déterminer les états énergétiques possibles. 

Pour ce faire, il faut recourir à la méthode quantique, mécanique appliquée au mouvement de l’électron autour du proton (voir un cours de Physique atomique et nucléaire) et également applicable au mouvement des noyaux.  On peut déterminer une fonction d’onde y solution de l'équation générale de SCHRÖDINGER. Le carré de cette fonction d’onde représentera la probabilité de présence des noyaux en chaque point de l’espace.

Dans le cas du rotateur rigide symétrique, l’énergie potentielle V = 0 et l’équation d’onde de SCHRÖDINGER devient :

Dans cette équation y est la fonction d'onde, E est l'énergie du rotateur, m est la masse réduite et h est la constante de PLANCK.

La solution de cette équation est possible de façon rigoureuse. Bien qu'elle ne soit  pas nécessairement très compliquée, elle est cependant hors des limites de ce cours. Si l’on veut que y réponde aux conditions physiques que l’on s’est imposées, c’est-à-dire ait le caractère d’une onde, l’énergie E peut seulement prendre les valeurs suivantes (voir Chapitre 2.3) :

(3.3)

J est un nombre quantique de rotation qui peut prendre les valeurs :

J = 0, 1, 2, ...

Figure 3.4. Rotateur rigide à axe fixe.

 

Ouvrons une parenthèse pour essayer de mieux faire comprendre comment l’équation de SCHRÖDINGER fournit le résultat.

 

L’intégration de l’équation est très facile si on l’applique au rotateur rigide à axe fixe (Fig. 3.3). Ce problème pourrait être matérialisé par une molécule astreinte à tourner autour d’un axe en restant, par exemple, dans le plan xy . Dans ce cas, le Laplacien Dy se réduit à :

Étant donné la symétrie du problème, il est préférable de le traiter en coordonnées polaires. Après un changement de coordonnées l’expression précédente s’écrit :

r est l’angle que fait la molécule avec une direction fixe (c’est la seule variable du problème), r est la distance fixe de la masse m à l’axe de rotation. L’équation devient donc :

Cette équation aux dérivées partielles du second ordre à coefficients constants a pour solution générale (voir le cours "Introduction à la physique atomique et nucléaire",  Chapitre 6.2) :

y = c1 cos J r + c2 sin J r

(3.4)

Cependant, cette fonction d’onde y  n’est satisfaisante que si les conditions aux limites sont satisfaites. En particulier, la fonction y doit être continue c’est-à-dire qu’elle doit prendre les mêmes valeurs pour r, r + 2 p, r + 4 p, etc. correspondant au même point de l’espace. Cette condition impose que le nombre J soit entier. L’équation 3.4 donne donc la condition correspondante à satisfaire pour l’énergie. On a donc des valeurs discrètes de l’énergie données par :

C’est une condition presque analogue que l’on retrouve dans le cas du rotateur rigide (équation 3.3). Le rotateur à axe fixe peut être considéré comme un modèle approché de notre molécule.

Cependant, un modèle plus exact, fondé sur la solution complète de l’équation de SCHRÖDINGER, indique que l’axe de rotation de la molécule n’est pas fixe.  La molécule devrait plutôt être représentée comme tournant autour d’un axe incliné par rapport à l’axe z et effectuant en présence d'un champ électrique orienté selon l'axe z un mouvement de rotation plus lent, appelé mouvement de précession, autour de l’axe z. La solution de l’équation complète conduit à une expression légèrement différente de E dans laquelle le facteur J2 est remplacée par le produit J (J + 1) (équation 3.3).

Cette propriété se manifeste, entre autres, en présence d'un champ électrique.  Si on suppose ce dernier orienté selon l'axe z, on peut représenter le mouvement de la molécule comme la combinaison de deux mouvements : (1) la rotation de la molécule autour de son axe; (2) la rotation, plus lente, de cet axe autour de l'axe z, mouvement appelé précession

 


3.4 Les niveaux d’énergie de la molécule en rotation

En comparant l’équation 3.3 et l’équation 3.1c on peut écrire :

I  =  m  r2

E   =  1/2  I w2   =  1/2 (I w)2 / I   =   1/2 P2 / I

D’où,    P2 =   2 E =   2 (h2 I /8 p2  IJ  ( J + 1)

Cela permet d’écrire :

    (3.5)

Cette équation montre que le nombre quantique J détermine la grandeur du moment cinétique P. Comme dans le cas d’un électron tournant autour du noyau, c’est le moment cinétique qui est quantifié, c’est-à-dire ne peut varier que par quanta approximativement égaux à  h /2 p avec l’approximation :

De façon rigoureuse, ce qui est quantifié, et varie par quanta, ce n’est pas le moment cinétique, mais plutôt ses composantes individuelles et le carré de son module.  Puisque l’énergie se manifeste sous forme électromagnétique, caractérisons-la par sa fréquence n ou par son nombre d’ondes .

E  =  h n  =  hc  =  hc F (J)   car    =  n / c

D’après l’équation 3.3 nous trouvons :

(3.6)

La constante B est appelée constante de rotation de la molécule; F(J) est le terme spectral ; c’est la position du niveau d’énergie exprimée en nombre d’onde.

Figure 3.5.  Position des niveaux d’énergie de rotation.

 

Le diagramme de niveaux d’énergie de la molécule en rotation apparaît comme une série de lignes horizontales représentant les niveaux possibles (Fig. 3.5). Ces niveaux d’énergie possibles correspondent aux valeurs J = 0, 1, 2, ... Ils s’écartent de plus en plus les uns des autres puisque l’énergie varie suivant une loi quadratique. 

Par ailleurs, la séparation de deux niveaux consécutifs est  (voir la section 3.6 Spectre de rotation) :

 

(3.7)        F(J + 1) - F ( J )  =  2 B ( J + 1 )

 

Cette différence croît avec J. Lorsque J croît, le moment cinétique croît et la molécule tourne de plus en plus vite.

 


3.5 Transitions possibles d’un niveau d’énergie à l’autre

L’émission et l’absorption d’énergie électromagnétique ne peut se faire que si elle est accompagnée d’une variation de moment dipolaire électrique à l’intérieur du système émetteur (voir le cours "Introduction à la physique atomique et nucléaire", chapitre 4.3). Une variation de moment dipolaire électrique c’est, pour parler plus simplement, un déplacement du centre de masse des charges; rappelons que si la distance du centre de masse des charges positives, +q, au centre de masse des charges négatives, -q, est d, le moment dipolaire électrique est défini par le produit qd.

Il découle immédiatement de ces remarques que les molécules diatomiques homonucléaires ne possèdent pas de spectre de rotation par suite de l’absence de moment dipolaire.  Cela ne signifie pas que ces molécules ne peuvent entrer en rotation ou qu’elles ne peuvent accumuler ou perdre de l’énergie de rotation.  On verra plus tard d’autres mécanismes capables d’enrichir (ou d’appauvrir) l’énergie de rotation de ces molécules homonucléaires (voir, par exemple le Chapitre 7).

En ce qui concerne les molécules hétéronucléaires, une transition ne sera possible entre deux niveaux d’énergie que si le moment dipolaire varie. On démontre que cette condition impose à J de varier de ±1. On aboutit donc à une règle de sélection pour les transitions de rotation :

(3.8)                  D J  =  ±1

Dans le cas de l’absorption, un quantum d’énergie porte la molécule à un niveau plus élevé, donc les seules transitions possibles sont :

D J   =    Jfinal - Jinitial  =  +1

 

Ce serait D J = -1 dans le cas de l’émission.

Sur le diagramme de niveaux d’énergie (Fig. 3.6) on a représenté les transitions possibles par des flèches, chacune d’elles donnant lieu à la présence d'une raie dans le spectre d’absorption.

 

Figure 3.6. Transitions possibles entre les niveaux d’énergie de rotation.
(Voir une animation dans la section Diaporama, chap. 3, 20e diapos).

 


3.6 Spectre de rotation et calcul des constantes moléculaires

Calculons  l’énergie d’une raie quelconque. Cette raie correspond à une transition entre deux niveaux J et J + 1.

D’après l’équation 3.6, la différence d’énergie entre deux niveaux successifs est :

(3.9)          =   B (J + 1) (J + 2) - B J (J + 1)

  =   2 B (J + 1)

Cette formule est la démonstration théorique de la formule empirique :

   =    a m

La raie suivante correspond à la transition (J + 1) ® (J + 2). Sa fréquence est :

  = 2 B (J + 2)

L’intervalle des fréquences entre deux raies consécutives est constant :

(3.10)                                J+1 - J  =  2 B

On observe ainsi un spectre que l’on peut schématiser comme cela est fait dans la figure 3.7.  Il faut noter que l’on a en aucun moment discuté des intensités des raies d’absorption (de la hauteur des pics).  

Figure 3.7.  Figure schématique du spectre de rotation. 

De la valeur expérimentale de cette différence on peut tirer la valeur de B. Par exemple, dans le cas de HCl, on trouve :

    B  =  20,51/2  =  10,25 cm-1

 

À partir de la valeur de B on peut déduire la valeur du moment d’inertie de la molécule, par la relation 3.6 :

La valeur du moment d’inertie permet, connaissant les masses des atomes, de déterminer la distance internucléaire (équation 3.1).


3.7 Signification physique des nombres J et B

J détermine la valeur du moment cinétique. La molécule tourne comme une toupie autour de l’axe. Les valeurs croissantes de J correspondent à des valeurs croissantes de la fréquence de rotation, donc de la vitesse angulaire de rotation.

La grandeur B est liée directement au moment d’inertie de la molécule. Voici quelques ordres de grandeur pour des molécules diatomiques communément rencontrées.

Tableau 3.2. Quelques caractéristiques physiques de molécules diatomiques

Molécule

B (cm-1)

Distance internucléaire
re (nm)

HCl

10,5934

0,127 455

DCl 5,4488 0,127 458

HBr

8,465

0,141 443

DBr 4,2456 0,141 45

·OH

18,911

0,096 97

·NO

1,671 95

0,115 08

CO

1,931 28

0,112 832

CS 0,820 0,153 494

HI

6,426

0,160 92

Note : Les données numériques concernant HCl de ce tableau sont plus exactes que celles expérimentales rapportées plus haut parce que ces dernières sont plus anciennes.  On remarque l’extraordinaire précision de ces mesures des distances internucléaires de même que l’effet négligeable de la substitution isotopique sur cette grandeur.


3.8 Correction pour la force centrifuge

 

On conçoit aisément, puisque la liaison entre les atomes n’est pas réellement rigide, que la force centrifuge imposée aux atomes est susceptible d’augmenter la longueur de cette liaison.  En effet, si J croît, la molécule tourne de plus en plus vite, donc la force centrifuge augmente, ce qui fait augmenter la longueur de la liaison, r, et par conséquent la valeur du moment d’inertie, car I  =  m r2.  Puisque (équation 3.6) : 

B = h/8 p2 c I

cette augmentation de I entraîne la décroissance de B. En conséquence, les niveaux d’énergie de rotation seront un petit peu plus rapprochés (Fig. 3.8) que les niveaux prévus par la formule :

F(J)   =   B J (J + 1)

Celle-ci peut être corrigée pour tenir compte de la force centrifuge de la façon suivante   :

(3.11)                        F(J B J (J+1) - D J 2 (J+1)2

D est la constante de distorsion centrifuge dont la valeur numérique est approximativement ou au plus égal à 10-4 B.  

La valeur  relative de la correction, pour une valeur de J donnée, est donc égale à :

D F(J) /  F(J)    =     (D / B)   J (J + 1)

En supposant que=  0,5 ´ 10-4 B, cas de HCl, pour une valeur de J = 20, la correction est de 4 %.  Cette correction atteint 9 % pour J = 30.  Il faut donc observer des niveaux de rotation relativement élevés  ou encore utiliser des appareils de mesure doués de très haute résolution pour apprécier la différence.  Les exemples rapportés dans le tableau 3.3 montrent la pertinence de cette remarque.

Figure 3.8. Transitions en rotation : la correction pour la force centrifuge apparaît sur les lignes horizontales (en tirets).

 

Tableau 3.3. Quelques constantes de distorsion centrifuge de molécules diatomiques

Molécule

D (cm-1)

D / B

HCl 5,319 10-4 0,502 10-4
DCl 3,457 10-4 0,4082 10-4
·OH 19,38 10-4 1,025 10-4

·NO

0,54 10-6

3,23 10-7

HI 2,069 10-4 0,322 10-4
CO 6,1215 10-6 3,170 10-6

 

En fait, la théorie montre que la formule 3.11 est plutôt un développement en série de la forme :

F(J)  = B J (J + 1) - D J 2 (J + 1)2 + H J 3 (J + 1)3 + . . .

La correction introduite est parfois nécessaire pour rendre compte des valeurs observées. Évidemment, les coefficients des termes supérieurs sont de plus en plus petits.  Par exemple, pour l’oxyde de carbone, 

H(u=0)  =  5,74 10-12 cm-1.

 

 


 

3.9  La relation entre la vitesse de rotation et la fréquence de la transition

La question que l’on peut se poser est celle relative à la relation qui existe entre la vitesse de la rotation, la vitesse angulaire et la fréquence de la transition de rotation.   Rappelons que la vitesse angulaire s’exprime en nombre de tours effectués par unité de temps (en radians par seconde en SI).  Dans le système international d’unités, cette vitesse angulaire s’exprime en s-1, donc avec la même unité qu’une fréquence d’absorption.   La formule 3.2 relie l’énergie d’un niveau de rotation et le moment cinétique P.  Cette dernière valeur est reliée à celle de la vitesse angulaire,  w, de telle sorte que:

E  =  P2 / 2 I    et   P  =  I  w

En se rappelant que E   =  h n, on obtient :

E / h  =  P2 / 2 I  h  =    I 2 w2 / 2 I  h  =  n

ou encore :

w 2    =   2  h n / I.

Il n’existe donc pas de relation simple entre la vitesse angulaire de la rotation et la fréquence de raies d'absorption de rotation si ce n’est à travers une formule faisant intervenir le moment d’inertie de la molécule.  On présente dans un autre chapitre consacré à la vibration,  une situation quelque peu différente.

 


 

 

 

CONCLUSIONS

L’application de la mécanique classique est insuffisante pour l’interprétation des observations spectroscopiques du mouvement de rotation des molécules diatomiques. Par contre, elle permet de mieux comprendre l’application de la mécanique quantique.

Les molécules diatomiques ne peuvent tourner qu’avec des niveaux d’énergie quantifiés qui se traduisent par l’introduction d’un nombre quantique de rotation ainsi que par l’intervention de règles de sélection qui précisent les transitions acceptables entre ces niveaux. Par ailleurs, l’interprétation du spectre observé dans l’infrarouge très lointain permet de calculer avec une très grande précision la longueur de la liaison de la molécule.

 



3.10 Exercices

1. Calculez en cm-1, la position (l’énergie) des 4 premières raies purement de rotation pour la molécule ClF (rCl¾F = 0,163 nm) et la constante de distorsion centrifuge D = 0,5 10-4 BOn prendra 35 pour la valeur de la masse de l'atome de chlore.

Réponse :  B  =  0,5142 cm-1

2. La molécule HF a des raies de rotation séparées de 41,9 cm-1. Calculez son moment d’inertie, la longueur de la liaison et sa vitesse angulaire dans les quatre premiers niveaux de rotation.

Réponses :  I    =   1,336 10-47  kg  m2  et r    =    0,0917  nm

3. Si la longueur de la liaison H-Cl était multipliée par 10, sans altération de la masse de la molécule, le spectre d’absorption rotationnelle serait-il altéré? Si oui, comment?

4. La distance N-O dans la molécule d’oxyde nitrique est de 0,115 nm. Calculez son moment d’inertie dans les systèmes CGS et SI.

(a) Calculez l’énergie pour les niveaux de rotation J = 1, 2, 3, 4

    1. En erg/molécule,
    2. En cal/mole,
    3. En joule/mole,

(b) Calculez en nombre d’onde, la fréquence de la raie d’absorption lorsque J passe de 0 ® 1, 1 ® 2 et 2 ® 3.

Réponse :       transition  2 ® 3 :   =  10,3 cm-1

(c) Si kT est l’énergie disponible par degré de liberté, comparez cette énergie à l’énergie requise pour la transition J = 3 ® 4.

5. La constante rotationnelle B dans H-35Cl est de 10,34 cm-1, calculez la valeur de la même constante dans H-37Cl.

Réponse :  BH-37Cl    =    10,325 cm-1

6. A. Honig et autres [Phys. Rev., 96, 629 (1954)] ont étudié les spectres de rotation des halogénures alcalins. Le tableau donne les valeurs qu’ils ont obtenues pour les transitions J = 8 ® 9 entre les niveaux de rotation du bromure du rubidium gazeux, au niveau fondamental de vibration (u = 0) :

 

Molécule

n 10-6 (s-1)

85Rb79Br

25 596,03 ± 0,10

87Rb79Br

25 312,99 ± 0,10

85Rb81Br

25 268,84 ± 0,10

 

u est le nombre quantique de vibration, et J = 8 ® 9 indique la transition du niveau de rotation entre le nombre quantique J égal à 8 au niveau où J = 9; n désigne la fréquence de la transition.

 

En supposant que la molécule RbBr se comporte comme un rotateur rigide, calculez, d’après les valeurs données, les distances internucléaires des molécules isotopes de RbBr, les masses atomiques des différents isotopes étant les suivants [T. L. Collins et autres, Phys. Rev., 94, 398 (1954)]:

79Br = 78,943 65         85Rb = 84,939 20

81Br = 80,942 32         87Rb = 86,937 09.

Réponse :  r (85Rb79Br ) =  0,2946 nm

7. Dans la série des composés diatomiques 1H-X proposés dans le tableau suivant, montrez théoriquement, en négligeant la masse de l’atome d’hydrogène devant celle de l’atome X, que la valeur de B est une fonction de 1/(re)2; Vérifiez expérimentalement le résultat en traçant le graphe approprié.

Molécule

État fondamental

B (cm-1)

Re ( (nm)

1H-14N

X 3S-

16,699

0,103 62

1H-16O

X 2Pi

18,911

0,096 97

1H-19F

X 1S+

20,956

0,091 68

1H-24Mg

X 2S+

5,8257

0,172 97

1H-32S

X 2Pi

9,46

0,1341

1H-35Cl

X 1S+

10,593

0,1274

1H-40Ca

X 2S+

4,277

0,200 25

1H-58Ni

X2 2D

7,700

0,147 56

1H-64Zn

X 2S+

6,679

0,159 49

1H-81Br

X 1S+

8,465

0,141 44

1H-115In

X 1S+

4,994

0,1838

1H-138Ba

X 2S+

3,3828

0,223 17

1H-174Yb

X 2S+

3,9930

0,2053

1H-205Tl

X 1S+

4,806

0,1870

Valeurs tirées de Huber, K. P. et G. Herzberg, Molecular Spectra and Molecular Structure IV. Constants of Diatomic Molecules, Van Nostrand Reinhold Co., New York, 1979.

 

  La littérature donne les valeurs suivantes pou la molécule d’hydrogène H2 :

                                            Be  =  60,8530 cm-1                  et            De  =  0,0471 cm-1

Calculez l’énergie des trente premiers niveaux de rotation (J = 0 à J = 30)
a-         sans correction pour la force centrifuge,
b-         avec correction pour la force centrifuge.

Que pensez-vous du résultat ?

       c-    La même littérature propose un développement en série pour ces mêmes niveaux d’énergie.  Le terme H est alors tel que :  H  =  4,65 10-5 cm-1.  Recalculez les niveaux d’énergie. Que pensez-vous de ce deuxième résultat ?

   

 

___________________________________________________

 

Pour en savoir plus  

La référence fondamentale en spectroscopie moléculaire toujours en usage après un demi-siècle, œuvre d'un prix Nobel canadien :  Herzberg G., Molecular spectra and Molecular structure.  I. Spectra of diatomic molecules. Van Nostrand Reinhold Company, Toronto, 1950, 658 pages.

 

Liens utiles

En complément à ces notes de cours, visitez  : https://profs-perso.teluq.ca/mcouture/www/Fodar99/theorie/mod_1_theo.php

Malheureusement, avec les changements technologiques sensées améliorer les TIs, les animations ne sont plus accessibles (2020-11-16).

 

On trouve aussi un site interactif préparé par le professeur Marc Couture, de la TÉLUQ (Montréal), site qui permet de mettre en relief divers modes de rotation et de vibration de 24 molécules allant de molécules biatomiques jusqu'au méthane : http://benhur.teluq.uquebec.ca/~mcouture/Fodar99/Hzdemo.htm Ce site est en cours de réhabilitation.

Une base de données, appelée WebBook, contenant, entre autres, les valeurs des constantes moléculaires (incluant les constantes de rotation B et D) des molécules diatomiques, est disponible sur le site du National Institute of Standards and Technology (NIST). On peut y faire une recherche par nom de molécule, ou encore à partir d'une liste de 400 molécules diatomiques, tirée des travaux de Huber et Herzberg.

Une étude du mouvement de rotation de la molécule CO : Karol, P. J., Introduction to Modern Chemistry - Measuring Bond Lengths, Carnegie Mellon University, http://www.andrew.cmu.edu/course/09-105/RotationalSpectra.html

Sites visités le 2 juin 2021.




Dernière vérification: 2021-06-21.

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