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Hannenorak

Zacharie Vincent. Une autohistoire artistique


Zachvincentarie Vincent (1815-1886), chef Wendat de la communauté de la Jeune-Lorette, est considéré comme le premier peintre moderne autochtone. Celui que les allochtones ont surnommé « le dernier des Hurons », cherchant à développer une image romantique de noblesse déchue à laquelle les francophones auraient pu s’identifier tout en maintenant leur pouvoir, a développé une peinture complexe et profonde réaffirmant l’existence de son peuple, non pas tombé hors de l’Histoire, mais bel et bien présent, actuel et vivant. Louise Vigneault, professeure agrégée au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, a consacré, l’année dernière, aux éditions Hannenorak, établies au cœur de la communauté de Wendake, une étude de la vie et de l’œuvre du peintre Wendat. Elle y montre la façon dont, articulant son statut de chef autochtone à son art, Vincent à prolongé son éloquence dans sa production picturale afin d’affirmer sa condition et celle de son peuple. Par des autoportraits, des portraits, des paysages, des scènes de chasse, celui qui était appelé également Tehariolin, terme qui évoque l’idée d’une conciliation des dualités, s’est adressé à la fois au public allochtone et autochtone, confirmant aux un et aux autres l’existence des Wendat. Une des particularités de son art est de s’inscrire en des territoires syncrétiques qui conjuguent art allochtone et culture autochtone, de créer de nouveaux espaces de dialogues contournant les dynamiques binaires de pouvoir hors desquelles Vincent a donné un visage individuel et moderne au sujet Wendat. Dépeignant tant les apparats traditionnels que les ornements coloniaux arborés par ses contemporains, privilégiant des principes picturaux relevant de l’art européen et de sa vision du monde autochtone, entre artisanat traditionnel et champ artistique occidental, Zacharie Vincent a laissé une œuvre à la fois intime et politique, spirituelle et historique. L’ouvrage de Louise Vigneault, préfacé par Guy Sioui Durand, fait ainsi la lumière sur une figure incontournable d’une expression autochtone qui a toujours su s’adapter pour développer ses richesses, une expression qu’il est, plus que jamais, nécessaire d’écouter.

Paul Kawczak

Affirmation autochtone

Revue Inter. Art actuel, n°122, « Affirmation autochtone », dirigée par Jonathan Lamy.


inter122-coverwebIl y a un an, paraissait le numéro 122 de la revue Inter. Art actuel, consacré à la contribution de l’art et la création dans l’affirmation autochtone. Cette année passée n’a rien enlevé à la pertinence de ce riche dossier dirigé par Jonathan Lamy et consacré aux actes d’affirmation et aux manifestations artistiques des Premières Nations. Soulignant l’augmentation du nombre d’artistes et d’événements autochtones depuis le début des années 2000, ce numéro met l’accent sur la dimension positive de la création, de l’expression et de la résistance des Premières Nations. En ouverture, un long article de Guy Sioui Durand propose une visite guidée personnelle de la création artistique autochtone canadienne, à la lumière de la notion de Onderha, mot iroquoien signifiant « soutien » ou « fondement » et liant la vie concrète dans les territoires à ses manifestations spirituelles. Guy Sioui Durand met notamment de l’avant de nombreuses artistes féminines de la nouvelle génération : Ashley Callingbull, Lydia Mestokosho-Paradis, Moe Clark, Eruoma Awashish, Sophie Kurtness, Émilie Monnet, Caroline Monnet, Hannah Claus, Sonia Bonspille-Boileau, Ève Ringuette, Naomie Fontaine, Natasha Kanapée Fontaine et Andrée Kwendokye’s. À noter que la revue donne également la parole à trois auteures et poétesses, Naomie Fontaine, Natasha Kanapé Fontaine, Rita Mestokosho, Viriginia Pésémapéo Bordeleau et Marie-Andrée Gill. Cause féminine, cause autochtone et création vont par ailleurs de pair dans l’article que Mélissa Simard consacre à la façon dont, à travers les Amériques, des installations et des performances autochtones s’attaquent au féminicide et à la violence sexuelle.

La place grandissante de la création autochtone dans l’art contemporain est abordée tant au niveau canadien que international avec des articles de Jean-Philippe Uzel, Marie-Charlotte Franco et Louise Vigneault. Du peintre Huron-Wendat Zacharie Vincent (1815-1886) à la première quinquennale d’art autochtone Sakahàn qui a ouvert ses portes à l’été 2013 à Ottawa, l’affirmation autochtone y est abordée dans sa diversité, en perspective avec son histoire. Un article de Pierre Bastien s’intéresse au fait de filmer l’autochtone, des premiers films allochtones ethnographique à l’autoreprésentation. Sophie Guignard, quant à elle, interroge la façon dont la photographie a pu, et peux servir l’affirmation autochtone. Que ce soit par le biais de la vidéo, de la photographie, de l’ethnographie, ou autre, se pose la question de la collaboration entre autochtones et allochtones au service de cette affirmation. Claudia Néron et Olivier Bergeron-Martel de la Boîte Rouge Vif, en collaboration avec Vincent Napish, Sylvie Basile et Rita Mestokosho de la communauté d’Ekuanitshit signent un article au sujet d’une démarche collaborative pour la création de l’exposition permanente L’univers des Innus d’Ekuanitshit dans lequel ils reviennent sur les enjeux et les développements d’une telle collaboration.

Ce dossier du 122 numéro d’Inter – qui aborde également par ailleurs le travail de Michel Depatie, de Sonia Robertson et les nuits amérindiennes en Haïti –, se termine sur une touche de résistance, avec Oka, un texte de Véronique Hébert, et un article de Yves Sioui Durand, consacré à l’enjeu de résistance dans le théâtre amérindien. Ainsi que l’écrit Jonathan Lamy en avant-propos : « L’affirmation autochtone est là pour rester. Et elle continuera d’être entendue »

Paul Kawczak

Place aux littératures autochtones


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Simon Harel – Place aux littératures autochtones (publié par Paul Kawczak)

Joséphine Bacon, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Naomie Fontaine, Natasha Kanapé Fontaine, Marie-Andrée Gill, Rita Mestokosho, Christine Sioui Wawanoloath, Yves Sioui-Durand, Jean Sioui, Louis-Karl Picard-Sioui… Alors qu’il y a une dizaine d’années la littérature autochtone était encore en marge des Lettres Québécoises, elle multiplie maintenant les signes de sa présence au sein des différentes institutions littéraires du Québec. C’est le point de départ de Place au littératures autochtones, l’essai de Simon Harel, professeur de littérature comparée à l’Université de Montréal, les littératures autochtones ne sont pas là pour se frayer une place dans la nébuleuse d’un multiculturalisme moderne québécois dont le centre serait invariablement blanc et francophone.

Les littératures autochtones sont tournées vers un avenir à conquérir pour tous ; leur émergence impose un retour au territoire, un retour à l’Histoire, la nécessité de composer avec un souverainisme autochtone et un imaginaire politique amérindien qu’il n’est plus possible d’ignorer. Certes, les situations minoritaires des discours autochtone et francophone instaurent des ponts de ressemblance et de dialogue entre eux, mais on ne peut plus nier la dominance du discours allochtone sur l’amérindien. Il ne s’agit pas, pour le Québécois allochtone, d’être honteux de son passé, ni de battre sa coulpe, mais d’aller de l’avant, d’être à l’écoute, en prenant conscience de la profondeur des enjeux politiques et sociétaux d’une véritable décolonisation, et de sa nécessité, dont les littératures autochtones sont les manifestations indéniables.

Paru à l’hiver 2017, Place aux littératures autochtones propose une réflexion engagée et actuelle sur les enjeux inhérents à l’émergence des littératures autochtones. Des crispations d’une certaine droite identitaire au mouvement littéraire du « néo-terroire », il impose aux discours politiques et littéraires québécois la prise en compte d’une réalité amérindienne qui ne doit, selon lui, rien de moins que faire « trembler le territoire sur ses assises ».

Simon Harel, Place aux littératures autochtones, Mémoire d’Encrier, collection «Cadastres», 2017,  135 p.