7 juillet 2016. Lettre à mon ami Réjean. « J’ai perdu ma légèreté ».

Bonjour Réjean. Je sais que tes journées sont difficiles et que tu vis au rythme de l’énergie que ton corps affaibli te donnes et c’est pourquoi je veux te remercier pour ton premier texte. Merci de canaliser et mobiliser ton esprit pour nous partager ton expérience. Je sais que cela est très exigeant pour toi et en cela tes amis reconnaitront ta grande générosité.

Comme sa lecture m’a inspirée, j’ai le goût de te faire part de la réflexion et de l’écho qu’il a suscités en moi. Comme tu le sais déjà, en littérature, le titre que l’on donne à un volume, un article n’est jamais neutre. En général, il est là pour guider le lecteur et la lectrice et facilite l’entrée dans le texte. Ton titre, l’être : nuage de conscience m’a donné à penser. En fait, c’est le mot nuage qui m’a interpellée et m’a permis de faire certains liens que j’aimerais te partager.

Je ne sais pas si tu as écouté le témoignage d’Alexandre Taillefer à l’émission Tout le monde en parle quand Guy A. Lepage aborde la question délicate du suicide récent de son fils. Dans l’intervention de Monsieur Taillefer, pas de sensiblerie, de culpabilité, de cliché, pas d’épanchement dans le genre : « regardez comme je souffre »! La réponse qu’il donne mérite d’être analysée. Elle se déploie en deux temps. D’abord, un long silence qui s’est étiré sur plusieurs secondes. Rarement, je n’ai ressenti un silence aussi plein sur un plateau de télévision. Puis, rétablissant la communication, une invitée lui pose la question suivante : ce qui a changé en vous depuis la disparition de votre garçon ?

« Ma légèreté. J’avais une légèreté, je ne l’ai plus. Je suis très motivé par les projets que je fais, mais je suis beaucoup moins motivé par toute la vie qu’il y a après le travail, les fêtes, la joie de vivre. C’est plus difficile aujourd’hui.»

Certes, il convient d’être prudent et on ne saurait comparer le deuil d’un fils avec l’impact de l’annonce d’un cancer. Malgré la singularité de chacune des situations, il me semble que ce court extrait éclaire les échanges que nous avons eus lors de ton récent passage au Saguenay. D’abord, la symbolique du nuage et de la légèreté qui y est associée, nous permet d’approcher d’un peu plus près ce que vivent les personnes qui reçoivent un diagnostic de maladies graves ou qui sont en deuil. « J’ai perdu mon insouciance. Je suis lourde de ma peine, de ces jours trop longs, de cette souffrance qui me tient compagnie et m’isole de mon travail, de mes collègues, de mes capacités intellectuelles, de ma productivité. » Oui, il y a le fardeau qui traverse ton corps jadis si léger qui te faisait courir les marathons, faire 150 km de vélo dans une seule journée. Tout cela est bien vrai, mais ne traduit qu’une petite partie de ta réalité. Et c’est là que cet extrait est intéressant. En effet, au moment où il affirme la perte de sa légèreté, il parle de ses projets qui le font vivre et qui donnent du sens à sa vie. Voilà la réponse qu’il nous donne et le sens caché de toute cette entrevue! Et voilà ce que toi aussi tu cherches à nous dire.

En effet, je me suis rappelée nos dernières conversations et l’importance vitale pour toi d’avoir des projets. Dès que tu parles de ton prochain séjour de voile, des rénovations de ta maison, d’une sortie entre amis, du déménagement de ta fille, d’un voyage possible en Europe, ton regard s’allume et les nuages s’éloignent laissant passer la lumière dans tes yeux. Tu retrouves ta joie, ta légèreté. En fait, ce que toi et M. Taillefer cherchez peut être à nous dire c’est que la vraie mort, celle qui nous tue intérieurement bien avant que notre cœur n’ait cessé de battre, notre cerveau de nous informer, c’est l’absence de projets et de rêves. Avec cette terrible maladie, tu as perdu ta légèreté, tu vis au rythme des effets difficiles de la médication. Mais à travers les projets que tu souhaites et que tu vas réaliser tu reprends en main ce destin qui t’échappe et tu te pro-jètes ailleurs dans un avenir sur lequel tu as une prise. Le grand cercle de la vie redémarre et l’avenir s’ouvre à nouveau, tout neuf avec une nouvelle acuité du regard, une sagesse et une sensibilité plus grande sur la valeur de la vie. Le malade sur son lit d’hôpital, allongé à la merci de tous ne peut s’envoler et se sent souvent dépendant de son entourage et de la médecine quelquefois si invasive. Mais lorsque qu’il pense à son prochain projet, là son âme et son esprit s’envole, il est dans les nuages et sa conscience de la valeur d’habiter le moment présent s’en trouve d’autant plus élargie. Merci et au plaisir de te lire .

 

 

2 réflexions sur “ 7 juillet 2016. Lettre à mon ami Réjean. « J’ai perdu ma légèreté ». ”

  1. Merci pour cette suite pleine de sens et pleine de vie ! Faire des choix, choisir nos pensées, c’est un travail constant mais combien aidant dans la maladie !

    La réflexion de ce matin que je lisais va dans ce sens et je me permets de vous la partager!

    « Le sourire sur mon visage ne veut pas dire que ma vie est parfaite. Il veut seulement dire que j’apprécie ce que la vie m’a donné !  » bonne continuité en union de prières

    1. Merci Mme Lepage vos commentaires nous sont précieux et merci de nous rejoindre dans cet échange. En espérant que d’autres personnes qui vivent avec la maladie suivent vos traces

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